Chroniques

par laurent bergnach

Leoš Janáček
Káťa Kabanová | Katia Kabanova

1 DVD FRA Musica (2010)
FRA 003
production du Vlaamse Opera, reprise à Madrid en décembre 2008

« Il fait si calme ! Si doux ! J’ai le cœur moins lourd. Et la vie, je ne veux pas y penser. Continuer à vivre ? Non, non, je ne veux pas… c’est odieux ! Les gens me répugnent, et la maison, les murs eux-mêmes me répugnent. Je n’irai pas là-bas ! Non, non, je n’irai pas. Retourner chez eux ? Ils s’agitent, ils parlent, en quoi cela me regarde-t-il ? […] Que la mort vienne ou que j’aille la chercher, n’est-ce pas pareil ? C’est un péché ? On ne priera pas pour moi ? Ceux qui m’aiment feront bien des prières… »

Vingt ans avant Ibsen et sa Maison de poupée, un drame écrit par Alexandre Ostrovski (1823-1886), entre juillet et octobre 1859, met en scène le pouvoir arbitraire et despotique de la famille, dans ce milieu marchand que l’auteur a observé plus jeune, puis croqué dès sa première pièce (1847). L’homme est un pantin aux mains des parents, l’église la seule distraction accordée à sa femme. Entre l’adieu à son amant – contraint par son oncle à rejoindre la Sibérie – et sa noyade dans la Volga, l’héroïne de L’Orage dit moins sa souffrance que la joie de s’échapper.

Là où le vérisme aurait imposé son pathos, Leoš Janáček convoque pudeur et intensité : créés le 23 novembre 1921, au Théâtre National de Brno, les trois actes de Káťa Kabanová vont à l’essentiel. Cette production du Vlaamse Opera, reprise à Madrid en décembre 2008, lui fait honneur au delà de nos espérances. Robert Carsen réduit le décor à quelques planches posées sur l’eau, formant des chemins sinueux ou parallèles, symboles d’affrontements et de séparations. Conçus avec Peter van Praet, ses éclairages ouvrent le plateau vers une immensité que la caméra de François Roussillon, privilégiant les plans d’ensemble, n’éclipse jamais.

Il fallait une âme pour défendre le rôle-titre dans une telle nudité de plateau : Karita Mattila en est indéniablement pourvue. Son chant large et généreux ne manque ni de nuance ni de sensibilité, offrant des attaques suraiguës pianissimi et tout en souplesse ; le tout au service de la psychologie. Dans un équilibre bienvenu, celui de Natacha Petrinsky (Varvara) s’avère bien mené, très lyrique et coloré, au phrasé naturel et évident. Dalia Schaechter (Marfa) possède l’autorité et la sonorité du personnage.

Un peu faux quand il s’agit d’exprimer la douceur, Miroslav Dvorský (Boris) a pour lui vaillance et richesse de l’aigu. Toujours côté ténor, Gordon Gietz (Kudrjas) offre clarté et fiabilité ; Guy de Mey (Tikhon) une certaine tendresse. Oleg Bryjak (Dikoy) est une basse puissante. A ces voix très caractérisées s’ajoutent le plaisir d’une lecture très colorée : celle de Jiří Bělohlávek qui, à la tête de l’Orquesta Titular del Teatro Real, met en valeur la petite harmonie, si importante chez Janáček.

LB