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Chroniques
Leoš Janáček
Příhody Lišky Bystroušky | La petite renarde rusée
Séparé de sa femme et portant le deuil de deux enfants, Leoš Janáček (1854-1928) revient s’installer dans le village de sa naissance, Hukvaldy (Moravie), où son père était maître d’école et où il achète une maison grâce aux revenus générés par ses premiers opéras, Jenůfa (1904) et Káťa Kabanová (1921). À une quarantaine de kilomètres du premier hôpital, au milieu des forêts et des champs de son enfance, le musicien renoue avec des racines campagnardes dont il avait la nostalgie. Non content de vivre au cœur de la nature, il l’évoque encore dans un nouvel ouvrage lyrique inspiré de l'œuvre commune du poète Rudolf Těsnohlídek et du dessinateur Stanislav Lolek : Aventures de la renarde Fine-Oreille – laquelle fut rendue populaire par sa publication sous forme de feuilleton. Son entourage lettré cherche à le décourager (éditeur viennois, traducteur allemand, etc.), mais Janáček s’obstine à vouloir mettre en scène les habitants des bois, avec un argument imparable : « les animaux, depuis des années, je les écoute, mémorisant leur discours ; je suis à l'aise avec eux ». D’ailleurs, si l’on en croit l’anecdote du neveu du garde-forestier Vincenc Sládek, le compositeur a même rencontré le rôle-titre de l’ouvrage pour lequel il partait en fréquents repérages :
« Nous atteignîmes Babi hůra en passant par la vallée d’Ondřejnice et la rivière Rybi. Et en effet, comme un fait exprès, la famille de la Renarde sortit de sa tanière et commença de nous narguer et de folâtrer. Janáček se mit à gigoter et finit par faire fuir les renards effrayés. « Pourquoi n’êtes vous pas resté tranquille, Dr. Janáček ? Vous auriez pu continuer de les observer ! » Ce que Janáček, littéralement transporté et heureux, balaya de ces simples mots : « je l’ai vue ! Je l’ai vue ! », après quoi il ne fut plus à même de se contenir ».
Habituée à mettre en scène des univers fantastiques (Alice in Wonderland, Cindirella, Rusalka), la Britannique Melly Still présente à Glyndebourne, en mai 2012, sa vision de l’ouvrage créé à Brno le 6 novembre 1924. Autour d’un arbre central, symbole d’éternité et de renouvellement, tout un monde animal s’anime – riche en fiente et en giclées de sang ! – sans nous intéresser tout d’abord, puisqu’une trop grande variété de plans fait perdre le sens de l’espace et des chorégraphies. Heureusement, la désorientation est de courte durée et l’on retrouve le fil de l’histoire (Renarde s’échappant de la cour du Garde-chasse, volant sa tanière au Blaireau, rencontrant le beau Renard, etc.).
Comme beaucoup de Russes, Vladimir Jurowski peine à rendre les couleurs et miroitements des musiques d’Europe Centrale. À la tête du London Philharmonic Orchestra, sa lecture s’avère trop d’un bloc, avec ce lyrisme soutenu qui fait les beaux jours d’Hollywood et Broadway. Heureusement, la distribution vocale apporte plus de finesse d’interprétation, notamment Sergeï Leiferkus à la belle présence et au chant droit (Garde-chasse), l’attachante Lucy Crowe (Renarde), Emma Bell puissante et éclatante (Renard), Micha Schelomianski posé et enveloppant (Blaireau/Curé), Adrian Thompson piquant et incisif (Instituteur/Moustique), William Dazeley ample et ferme (Harašta), etc.
En bonus, un reportage d’une vingtaine de minutes offre des images de répétition ainsi que différents points de vue – notamment ceux de la chorégraphe Maxine Doyle, du responsable des « combats » Kevin McCurdy et du décorateur Tom Pye –, mettant l’accent sur l’énergie nécessaire à faire vivre ce spectacle.
LB