Recherche
Chroniques
Loïc Bertrand
Pierre Schaeffer et Pierre Henry – Symphonie pour un homme seul
Auteur de différents articles sur les musiques expérimentales du XXe siècle, récent géniteur d’une thèse sur l’archéologie des arts sonores, Loïc Bertrand livre aujourd’hui la première étude consacrée à la Symphonie pour un homme seul, une œuvre composée à quatre mains par Pierre Schaeffer (1910-1995) et Pierre Henry (1927-2017).
Ingénieur diplômé de l’École supérieure d’électricité, Schaeffer intègre les services de la Radiodiffusion française en 1936. Il est chargé de la prise de son et de la retransmission de pièces de théâtre mais, très vite, défend l’idée d’un « art intrinsèque à l’instrument radiophonique ». La création du Studio d’essai (1942-1945), puis celle du Club d’essai lui permettent d’approfondir ses idées et ses recherches, lesquelles mènent à l’apparition du terme musique concrète, employé pour la première fois lors d’un Concert de bruits, diffusé le 5 octobre 1948. De son côté, Pierre Henry a une formation de musicien – études avec Boulanger et Messiaen, notamment –, et s’attèle à produire des sons inouïs au moyen d’instruments préparés ou inventés. C’est lui qui, après la rencontre de 1949, va apporter « une virtuosité instrumentale » (dixit Bertrand) au projet d’importance que nourrit son comparse.
S’appuyant sur le fonds Henry, le fonds Schaeffer de l’IMEC (Institut Mémoires de l’Édition contemporaine), et le fonds d’archives personnelles de Jacqueline Schaeffer – une partie du journal restée inédite à la suite de celle publiée dans À la recherche d’une musique concrète (1952) –, l’auteur retrace donc la genèse de la pièce qui partagea le public lors de sa présentation, le 18 mars 1950 (École Normale de Musique, Paris). Symphonie pour un homme seul, c’est d’abord un projet de programme radiophonique, avec un texte lu parsemé de bruits corporels réalistes ou déformés (bâillement, rire, cri, etc.) – soit un scénario plutôt qu’une partition, un poème qui abriterait d’autres sons que ceux des mots. Lorsque Pierre Schaeffer recrute Pierre Henry, le musicien développe des idées à partir du scénario de l’ingénieur. Semaine après semaine, l’œuvre voit enfin le jour… et son analyse proprement dite peut commencer.
Comme il n’existe pas de partition complète de la Symphonie mais, à l’inverse, une multitude de versions aux durées et mouvements variables, c’est à partir de l’écoute de celle de 1998, réalisée par le cadet des concepteurs, que Loïc Bertrand mène ladite analyse, conscient que sa répartition en trois classes de sons (voix, bruit, musique) présente des limites. Elle favorise néanmoins la mise en avant une « logique du montage », un art du mélange et de la superposition qui fait tout l’intérêt et le charme de cette œuvre pionnière qui inspira, par ailleurs, nombre de chorégraphes soucieux d’exploration (Cunningham, Béjart, etc.).
LB