Chroniques

par laurent bergnach

Louis-Ferdinand Hérold
Le Pré aux clercs

1 livre-disque 2 CD Ediciones Singulares (2016)
ES 1025
Paul McCreesh joue Le Pré aux clercs (1832), opéra-comique d'Hérold

Petit-fils d’organiste et enfant de pianiste, le Parisien Ferdinand Hérold (1791-1833) entre au conservatoire où il étudie avec Méhul (composition), Catel (harmonie) et Kreutzer (violon). Grâce au piano étudié avec le père d’Adolphe Adam, il gagne un premier prix, avec un morceau de sa propre main (1810), puis remporte le Prix de Rome (1812). Un temps, il s’installe à Naples, cité qui voit naître son premier ouvrage lyrique, La gioventù di Enrico quinto (1815), au Teatro del Fondo, durant le Carnaval. Il regagne sa ville natale où se créé Charles de France (1816), opéra-comique coécrit avec Boieldieu. Vient ensuite une alternance d’œuvres dépassant les cent représentations – La clochette (1817), Almédon (1826), etc. – et d’autres ne tenant pas l’affiche, voire retirées dès la générale, tel L'Amour platonique (1819).

Le 15 décembre 1832, moins d’un an après le succès de Zampa ou La fiancée de marbre (1831), Le Pré aux clercs triomphe à son tour à l’Opéra Comique. Pour longtemps, il reste l’ouvrage le plus programmé après Carmen (Bizet), Manon (Massenet), Mignon (Thomas) et La Dame blanche (Boieldieu), de même qu’un exemple à suivre pour les générations suivantes (Offenbach, Lecocq, Varney). Futur collaborateur d’Adam pour Le farfadet [lire notre chronique du 13 avril 2016], Eugène de Planard conçoit les trois actes du livret d’après Chronique du règne de Charles IX (1829), roman historique de Prosper Mérimée qui trouve dans la Saint-Barthélemy prétexte à dénoncer les abus de son propre temps – « si l’on pèse dans une balance les meurtres du 24 août 1572 et les friponneries de maint actionnaire de chemin de fer en 1857, je ne sais trop de quel côté la balance penchera » (lettre du 9 juin 1857). Planard en rend compte dans la dernière réplique de Nicette : « Oh la la ! la pitoyable chose que la bourgeoisie ! » (Acte III, Scène 2).

Dix ans après le massacre, dans le cadre d’une auberge d’Étampes (site des chasses royales), l’Acte I présente les personnages sans nous perdre : Nicette et son fiancé Girot, cabaretier parisien ; le Huguenot béarnais Mergy et Comminge, un cruel colonel de la garde, également son rival auprès d’Isabelle de Mortal ; enfin cette dernière, protégée de Marguerite de Valois dans un Louvre où toutes deux souffrent d’être retenue par Catherine de Médicis. Au II, avec la complicité forcée de l’intriguant Cantarelli, Margot ourdit un plan pour marier les amoureux tandis qu’un duel est convenu entre Mergy et Comminge. Lieu de détente et de combats longeant la Seine, le fameux Pré aux clercs apparaît à l’Acte III, avec tonnelles et escarpolettes, pour un dénouement jusqu’au bout incertain.

Enregistrée en avril 2015, cette production Palazzetto Bru Zane réunit trois soprani : Marie-Ève Munger (Isabelle) au legato soyeux [lire nos chroniques du 7 novembre 2015 et du 8 novembre 2013], Marie Lenormand (Marguerite) chaleureusement corsée, [lire notre chronique du 29 janvier 2015], ainsi que Jeanne Crousaud (Nicette), voix légère aux vocalises agiles. De même, trois ténors sont à l’œuvre : Michael Spyres (Mergy), aux roucoulades souplement amenées – un artiste aguerri à la prosodie française [lire nos chroniques du 31 août 2014 et du 28 juin 2012] –, Éric Huchet (Cantarelli) lumineux autant que vif [lire notre chronique du 10 août 2014], et Emiliano Gonzalez Toro (Comminge) qu’on ne présente plus [lire nos chroniques du 16 septembre 2016, du 16 juillet 2015 et du 16 mai 2004, et notre critique du CD Lalla Roukh]. On aime le baryton charnu et vibrant de Christian Helmer (Girot), de plus en plus applaudi sur nos scènes [lire nos chroniques du 18 juin 2015 et du 10 avril 2011]. Entre drame et badinage, Coro e Orquestra Gulbenkian répondent sans bavures à la battue impérieuse et tendre de Paul McCreesh.

LB