Chroniques

par bertrand bolognesi

Luciano Berio
transcriptions

1 CD Decca (2005)
476 2830
Luciano Berio | transcriptions

Faut-t-il rappeler que Luciano Berio (1925-2003) s'adonna régulièrement à un exquis jeu de cache-cache avec les musiciens du passé ? Outre les multiples intrusions de sa Sinfonia – Mahler, Stravinsky, Ravel, Debussy, Berlioz, etc. –, on rencontrera de nombreux traits inspirés de musiques populaires ou ethniques, mais aussi de véritable adaptations, qu'il s'agisse des orchestrations de mélodies de Mahler – Fünf frühe Lieder en 1986 et Sechs frühe Lieder l'année suivante –, du bel écrin imaginé aux Folk Songs (1964-1973), de la fin de Zaïde (Mozart, 1995) ou de l'achèvement de la dernière scène de Turandot (Puccini, 2002).

Quelques années après la parution du CD Teldec consacré aux transcriptions mahlériennes, Decca présente ce nouveau volume qui compte quelques inédits au disque. On pourra faire ici la distinction entre transcription dans le sens strict du terme, c'est-à-dire sans autre ajout de la seconde main que les choix d'instrumentation, et les re-compositions pour lesquelles Berio a tissé ses fameuses moires, comme pour avantageusement habiller l'incomplétude de certaines pages de ses aînés. Une exception, cependant : les Variations sur l'Aria de Papageno « Ein Mädchen oder Weibchen », œuvre à part entière imaginée pour célébrer le bicentenaire de la naissance de Mozart, durant l'édition 1956 des Donaueschinger Musiktagen. On soulignera, d'ailleurs, les soli de pupitres particulièrement soignés de cette première gravure.

Disons-le d'emblée : la part la moins intéressante de cette galette est la Sonate en fa mineur Op.120 n°1 pour clarinette de Brahms, orchestrée par Berio en 1986. Certes, l'exercice est brillant, mais d'une portée moindre que tout ce que l'on pourra écouter sur le disque. De fait, le jeu de Fausto Ghiazza (clarinette), après la sonorité généreuse et un rien incisive de son entrée dans le premier mouvement, possède trop peu de moelleux. Cela n'empêche pas les interprètes de ménager une belle tendresse, un rien nonchalante à l'Andante un poco adagio qui suit, une articulation virevoltante et suave à l'Allegretto grazioso, avant un final Vivace sans surprise.

Également conçue comme une traduction et non une appropriation, Quattro versioni originali della « Ritirata notturna di Madrid » de Boccherini, écrite en 1975, est ici traversée d'une énergie fascinante. La lecture de Riccardo Chailly est à la fois précise et élégante, menant les musiciens de l'Orchestra Sinfonica di Milano Giuseppe Verdi jusqu'à la saisissante clé de voûte, saisissante car profonde, jamais exclusivement rutilante. On préfèrera, du reste, cette version minutieuse à celle dirigée par Berio lui-même, en 1997, à la tête du London Symphony Orchestra (chez RCA).

La référence précitée offrait Rendering que l'on retrouve cette fois sous la baguette de celui qui la créa en 1990, à Amsterdam. À partir de copies des esquisses d'une Symphonie n°10 que Franz Schubert n'eut pas le temps de mener plus loin, Berio a entrepris un travail de restauration, soit de conservation des choses existantes, mises en valeur par un tissu nouveau, en se gardant bien de tenter une reconstitution hypothétique. On appréciera le grand souffle de la présente interprétation, de l'éclat de l'Allegro à l'aurore séduisante de l'Andante central où toutes les lueurs s'entrelacent jusqu'à faire naître la calme ballade schubertienne, dans un mystérieux étirement central qui se radicalise jusqu'à la suspension, réalisant de somptueux clairs-obscurs, ce beau parcours exultant dans le fourmillement du début du troisième épisode, effervescence d'où surgit le joyeux thème fugué, administré par une quiétude exemplaire, donnant aux dernières bribes chambristes une élégance rare.

Ce beau programme est complété par une visitation du Contrapunctus XIX de Bach, ultime contribution à L'Art de la Fugue, Berio rejoignant alors la démarche de Webern, dans une infinie richesse de couleur où le geste orchestral ne pontifie jamais. Cette pièce est enregistrée pour la première fois, ainsi que The modification and instrumentation of a famous hornpipe as a merry and altogether sincere homage to uncle Alfred, extrait de l'ouverture de The Fairy Queen de Purcell.

BB