Chroniques

par laurent bergnach

Lucie Kayas
André Jolivet

Fayard (2005) 610 pages
ISBN 2-213-62604-9
Biographie d'André Jolivet par Lucie Kayas

Après avoir publié plusieurs ouvrages consacrés à Poulenc et Jolivet, Lucie Kayas retourne à ce dernier pour une monographie qui s'appuie sur de nombreuses sources littéraires, musicales et historiques, tant privées que publiques, dont certaines manuscrites et irremplaçables comme le carnet de son service militaire (1925-1927), ses agendas annotés (de 1926 à 1974), etc. Un moyen de faire vivre l'œuvre d'un compositeur paradoxal, à l'avant-garde quand le néo-classicisme triomphe, envisagé comme un conservateur lorsque le sérialisme fait des émules.

Né le 8 août 1905, André Jolivet développe assez tôt un intérêt pour le théâtre, la poésie, le dessin et bien sûr la musique – en particulier au piano : « J'étais passionné de solfège et je déchiffrais tous les morceaux que ma sœur aînée jouait très brillamment ». À l'abbé Théodas, qui assurait à la paroisse Notre-Dame de Clignancourt une formation musicale gratuite aux plus doués, il doit des rudiments d'harmonie et de contrepoint – « On improvisait sur un thème ou on chantait du Bach, du Victoria ou du Palestrina ». Puis vint l'expérience de l'improvisation, par l'accompagnement de films muets. De 1921 à 1924, pour rassurer ses parents, il intègre l'École normale d'Auteuil... ce qui ne l'empêche pas de produire une vingtaine d'œuvres musicales, empreintes de l'esprit de Jarry ou de Satie, d'atonalité et de polytonalité. À vingt-deux ans, libéré des obligations militaires, il rencontre deux personnalités marquantes : Paul Le Flem et Edgar Varèse, qui vont mettre un peu de sérieux dans un apprentissage quasi autodidacte.

Il découvre alors Schönberg et Bartók. Avec Mana (1935), l'essentiel de sa production d'avant-guerre est incantatoire et marquée par le primitivisme, fruit de son intérêt ethnologique, voire ésotérique. Soucieux de faire connaître sa musique, depuis le bon accueil de ses premières pièces pour piano, il s'attache aux nouvelles sociétés de concerts que sont La Spirale ou le Groupe Jeune France, lyrique et humaniste. C'est ensuite le rapprochement avec une revue littéraire, La Nouvelle Saison, puis, enfin libéré des contraintes de l'Éducation Nationale, avec la Comédie-Française – direction d'orchestre et écriture –, le Conservatoire de Paris, le Ministère des Affaires Culturelles. La fréquentation de ces institutions, des pièces du répertoire, des commandes à thème religieux, finit par en faire un digne représentant de la tradition française. Au même moment, le Domaine Musical cherche d'autres racines à l'avenir de la musique...

Le travail de Lucie Kayas s'attache à la chronologie du musicien, en relation avec la vie artistique alentours (surréalisme, invention des ondes Martenot, programme de théâtres parisiens). Les œuvres importantes sont analysées en détail au fur et à mesure, souvent sur quelques pages, et regroupées par genre en annexes, avec la liste de ses élèves, ses propres textes mis en musique, une bibliographie, etc. L'opéra inachevé de Jolivet sert d'épilogue à cette biographie claire et précieuse, tant elle nous plonge dans l'histoire d'un siècle en nous contant la vie d'un homme.

LB