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Chroniques
Ludwig van Beethoven
Concerti pour piano n°2 – n°4
Avec l'Orchestre National de Russie qu'il a fondé en 1990, Mikhaïl Pletnev entreprit de donner une intégrale des symphonies et concerti de Ludwig van Beethoven à Bonn, soit dans les lieux du crime. De son côté, l'étiquette jaune rend compte de l'événement en publiant les enregistrements live. Rappelant à juste titre les volte-face improvisatrices du compositeur en son temps, le pianiste russe livre ici une vision à la fois personnelle et pertinente des deuxième et quatrième concerti, avec la complicité de Christian Gansch au pupitre.
Plutôt leste et d'une sonorité élégante, l'Allegro con brio du Concerto en si bémol majeur Op.19 n°2 s'ouvre en un geste enlevé. Un relief soigneusement dosé est accordé à ses phrases de vents qu'on a souvent dites mozartiennes, tandis qu'une vigueur, sans épaisseur pontifiante ni exiguïté reconstitutive ou prétendue telle, caractérise l'articulation générale où le piano fait une entrée d'une clarté presque insolente. La frappe de Pletnev cisèle une ornementation d'une digitalité presque « clavecinistique », à l'articulation volontiers joueuse, imposant une sécheresse relative à certains échanges en répons. Rien ne traîne, la nuance est versatile et l'accentuation capricieuse : c'est inattendu autant que cohérent, dans une sonorité hyper définie du piano – grande égalité de la personnalité instrumentale sur toute la tessiture ; l'aigu est précis et ne claque pas, la fidélité de l'ensemble ne rutile pas : un Blüthner, merci ! La cadenza, sans s'auto-congratuler, est précieusement imaginative. La tendresse contenue de l'Adagio croise la portée lointaine des appels de cuivres avant que le soliste s'exprime dans une gracieuse nonchalance. À n'en pas douter, les vieilles barbes – ou les jeunes au menton confit de colle à dignes postiches – n'aimeront pas cette sereine inventivité ! Le mouvement se conclut dans un quasi sotto voce remarquable de raffinement, laissant l'orchestre l'achever dans une confidentialité confortable. Puissant, mais jamais nerveux, le Rondo se fait bondissant d'une vitalité confondante. Même au plus fort des staccati, dans un ancrage un rien rugueux, le piano n'est jamais métallique. Voilà donc une version qui rappelle qu'on peut être sérieusement drôle – ce qui est préférable à tous les drôlement sérieux de la terre !
Seul au clavier, Mikhaïl Pletnev commence l'Allegro moderato du Concerto en sol majeur Op.58 n°4 plutôt comme une sonate tardive de Beethoven qu'un concerto. L'on est alors surpris par l'entrée contrastée de l'orchestre, tant ses cordes rivalisent d'onctuosité face à un piano relativement sec. L'on entend ici ce qu'un Tchaïkovski ira chercher dans Beethoven, très évidemment. Le piano se montre plus opulent et plus fantaisiste encore, toujours dans une stricte pertinence d'approche. La pédalisation est soignée, le phrasé jamais contredit à la légère, la vélocité fluide et quasi symphonique dans les motifs obstinés. La cadenza sait jouer avec son propre écho, comme miroir en main, à travers un regard plus grave qu'il ne veut bien paraître porté vers l'écriture. De fait, l'Andante central plonge immédiatement l'écoute dans une discrète gravité intérieure, à peine rehaussée par la franchise des cordes s'opposant au moelleux tout simple du piano. Après la vertigineuse expressivité du solo, une tendresse qui laisse songeur suspend le mouvement. Pour finir, une cordiale griffe de chaton brosse l'ultime Rondo.
BB