Chroniques

par michel tibbaut

Ludwig van Beethoven
pièces pour piano

1 CD Fuga Libera (2008)
FUG 530
Ludwig van Beethoven | pièces pour piano

Qui ne se souvient de la brillante et sympathique pianiste bulgare Plamena Mangova, après qu'elle ait remporté le Deuxième Prix du Concours Musical International Reine Élisabeth de Belgique 2007 ? Elle y avait interprété, entre autres, avec un brio incomparable, des œuvres de Beethoven, Schubert, Liszt, Albéniz, Ravel, Chostakovitch, et son classement était plus que mérité. Toujours souriante, sa personnalité exprime le bonheur et la joie de jouer, dans un répertoire allant du baroque à la musique contemporaine, et cela tant au concerto qu'en récital ou en musique de chambre.

Mangova a reçu l'enseignement du professeur Marina Kapatsinskaïa en Bulgarie, à l'Académie de Musique d'État de Sofia Pancho Vladigerov. Elle a ensuite étudié à l'École Supérieure de Musique Reine Sofia de Madrid auprès de Dimitri Bashkirov, puis avec Abdel-Rahman El Bacha à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth. Ce dernier lui fut certainement un guide des plus précieux dans l'interprétation des œuvres de Beethoven qu'elle honore dans ce merveilleux disque Fuga Libera. En deux CD chez le même éditeur, elle avait déjà servi Dimitri Chostakovitch de son immense talent, l'un dédié à des œuvres pour piano solo [lire notre critique du CD], l'autre consacré à sa musique de chambre. Il est bon de retrouver la pianiste dans sa vision du compositeur le plus universellement apprécié. Pour cela, il fallait assurément un programme qui sorte intelligemment des sentiers battus. Et c'est ce que Plamena Mangova a totalement réussi en offrant des pages représentatives non seulement de trois époques distinctes de la vie de Beethoven, mais aussi de trois formes musicales bien différenciées : la subtile interprète présente de la sorte une page célèbre encadrée de deux autres qui le sont nettement moins.

Si les dix Variations sur le duo « La Stessa, La Stessissima » de l'opéra Falstaff sont souvent considérées comme quantité négligeable dans l'œuvre du compositeur, il ne faut pas oublier qu'elles furent dédiées à la comtesse Babette von Keglevics par un jeune Beethoven secrètement amoureux, laquelle comtesse avait déjà reçu en cadeau ce chef-d'œuvre qu'est la Sonate en mi bémol Op.7 n°4. Or, comme le précise judicieusement Michel Stockhem dans les notes accompagnant le disque : « Offre-t-on un dessert médiocre à une jeune femme à qui on sert les plats les plus fins ? Et, ajoutera-t-on, dont on est amoureux ? » Les Variations sont basées sur un duo d'opéra de Salieri qui fut, rappelons-le, le professeur de Beethoven, de Schubert et de Liszt. Elles se révèlent une idéale introduction à un récital Beethoven pour piano solo.

La Sonate pour piano en fa mineur n°23 « Appassionata » est évidemment bien plus connue, d'une tout autre envergure, d'une sombre sévérité et d'une structure relativement inhabituelle, avec un premier mouvement à la forme-sonate assez particulière, sans reprise de l'exposition, un deuxième mouvement en variations, et un Finale en sorte de rondo-sonate avec grande reprise centrale en son développement. L'œuvre avoisine la Symphonie n°3 et l'admirable Concerto pour piano n°4, période qui voyait Beethoven amplifier les formes héritées de Haydn et Mozart.

Et la démarche est alors d'autant plus extraordinaire de s'être tourné, à la fin de sa vie, vers la forme brève pour piano solo, magnifiée par les six Bagatelles Op.126 dans lesquelles son génie allait concentrer toute sa force expressive en de courts joyaux dont les romantiques (tels Schubert, Schumann, Mendelssohn, Liszt, Chopin) ne manqueraient pas de se souvenir dans leurs propres pages proches de l'improvisation.

Ce qui est remarquable – et admirable – dans le jeu de Mangova, alors que chaque page trouve d'emblée l'idéale traduction de sa substance musicale en un jeu différencié, tout à la fois rigoureux, précis et subtilement poétique dans son expression, c'est l'unité que la pianiste, musicienne jusqu'au bout des doigts, a su conférer à l'ensemble de ces trois partitions dont l'universelle humanité n'en est que plus évidente, grâce à cette jeune et grande dame de cœur qui nous en livre le contenu spirituel avec une éloquence à laquelle on ne peut se dérober. L'audition de ce disque est un véritable régal, de la première à la dernière note.

Pour conclure, insistons sur le fait que, dans une société de plus en plus mercantile, il est réconfortant de voir d'importants groupes financiers investir dans l'art et la culture, et pas exclusivement dans le football ou la Star Ac', car c'est bien l'art véritable et la vraie culture qui créent la valeur morale et spirituelle réelle d'une vraie nation.

MT