Chroniques

par laurent bergnach

Ludwig van Beethoven
intégrale des concerti pour piano

2 DVD Bel Air Classiques (2015)
BAC 114
À Lausanne, Christian Zacharias joue les concerti pour piano de Beethoven

Avec deux sorties simultanées, Bel Air Classiques met à l’honneur une formation instrumentale, l’Orchestre de chambre de Lausanne, et un genre musical, le concerto pour piano. D’un côté, Martha Argerich joue Johann Sebastian Bach avec ses amis – Michel Dalberto, Nelson Goerner, Mauricio Vallina, etc. (BAC 115) –, à la Salle Pleyel (Paris, octobre 2013), tandis que de l’autre résonne Ludwig van Beethoven sous les doigts et la battue de Christian Zacharias, enregistré à la Salle Métropole en début et fin de saison (Lausanne, octobre 2012 et mai 2013).

Contrairement à d’autres travaux auxquels il se consacrerait de tout temps, tels la symphonie ou le quatuor à cordes [lire notre critique du DVD de l’intégrale par les Belcea], Beethoven (1770-1827) renonce au concerto pour piano près de vingt ans avant sa mort, contraint à des adieux par une surdité grandissante qui l’empêche d’en être l’interprète – et le confronte à un nouveau mode de vie, comme l’indiquait la réédition des Cahiers de conversation [lire notre critique de l’ouvrage]. « Un geste compréhensible, rappelle le musicologue Yaël Hêche, à une époque où le concerto était le genre par excellence où le compositeur-interprète pouvait se produire devant un public nombreux, le récital solo restant alors encore l’apanage des salons ».

Cinq concerti sont au programme – qui n’inclue pas celui en mi bémol majeur WoO4 (1784), aujourd’hui incomplet. Encore ancré dans la tradition mozartienne, le Concerto en ut majeur Op.15 n°1 est composé en 1795, mais édité seulement en 1801, après la réécriture de sa partie pianistique. Commencé plusieurs années avant ce dernier, le Concerto en si bémol majeur Op.19 n°2 connaît plusieurs révisions avant d’être édité, lui aussi, en 1801. Selon le Wiener Zeitung, une version transitoire recueillit « une approbation unanime » durant l’entracte de l’oratorio Gioas, re di Giuda (1795) [lire notre critique du CD]. Mêlant Mozart à une intensité préromantique, le Concerto en ut mineur Op.37 n°3 est esquissé dès 1796 mais ne serait offert au public qu’en 1803, le même jour que sa Deuxième symphonie. Pour l’anecdote, Beethoven joua le plus souvent sa partie de mémoire, n’ayant pas eu le temps de la transcrire. En 1804 démarre la composition du Concerto en sol majeur Op.58 n°4, créé en 1808, en même temps que les Cinquième et Sixième symphonies. Il est réputé pour son intimisme et son inventivité, autant que le Concerto en mi bémol majeur Op.73 n°5 (1811) l’est pour son héroïsme et une certaine martialité. En effet, le siège français de Vienne vient en perturber l’écriture par une « vie épuisante et dévastatrice autour de [Beethoven] ; rien que tambours, canons, misères humaines de tout genre » (lettre du 26 juillet 1809). Pour les raisons évoquées plus haut, Beethoven en abandonne la création à un autre pianiste.

À la tête d’un orchestre qu’il accompagne depuis 2000, Christian Zacharias se distingue par la souplesse et l’aisance, offrant des passages sertis à la manière baroque ou concentrés dans une gravité constante, de façon résolument romantique (Allegro con brio des opus 15 et 37). Avec l’ancien élève d'Irene Slavin à Karlsruhe, la tension est maîtrisée, l’effervescence jamais furieuse, comme en témoigne son propre jeu pianistique, toujours clair et gracieux (en particulier dans l’opus 73). Par contraste, l’Ouverture de Coriolan Op.62, qui vient compléter la « petite » soirée à deux concerti, semble plutôt frénétique et lyrique.

Depuis l’adolescence, la régularité est le meilleur atout du pianiste qui vit actuellement entre Suisse et Angleterre, au point de se sentir un débutant après quelques jours sans toucher le clavier. C’est ce que nous apprend l’artiste dans un documentaire bonus d’une cinquantaine de minutes mêlant scènes de répétitions, moments en compagnie du sculpteur-lumière Daniel Schlaepfer et échanges variés autour de la technique et de l’art en général. Ennemi de la routine, Zacharias préfère le dilettante qui conserve sa curiosité pour ce qu’il aime à ces spécialistes encombrés de bagages qui se limitent à comparer les interprètes du dernier demi-siècle – critiques professionnels en premier lieu. Pétillants aveux !

LB