Chroniques

par bertrand bolognesi

Ludwig van Beethoven
Symphonie en ré mineur Op.125 n°9

1 CD Profil / Hänssler (2010)
PH 11009
Ludwig van Beethoven | Symphonie n°9

Après l’avoir enregistrée à la tête de la prestigieuse Staatskapelle de Dresde à la fin des années soixante-dix (avec Helena Doese, Marga Schiml, Peter Schreier et Theo Adam), lorsqu’il en était le chef titulaire, Herbert Blomstedt retrouvait au concert les troupes saxonnes pour une soirée qui donnerait lieu à une des captations les plus excitantes de la neuvième de Beethoven (parue une première fois en 2003, récemment remise sous presse, enfin redistribuée en France cette année).

Par un dessin très claire, le maestro suédois impose une tension aiguë à l’Allegro initial. En faisant violemment éclater les timbales et accusant d’autant plus la tempête par l’extrême suspens des moments « rentrés », il inscrit sa lecture dans un perpétuel danger, parfois souterrain, parfois franchement dru. Ciselure soignée, ton impérieux et style remarquable caractérisent son approche du mouvement lui-même (un pocco maestoso), avec une fugue souverainement articulée menant bientôt à la puissante explosion, incroyablement contrastée. Le final gagne ensuite une saisissante aura funèbre. Plus qu’une grande urgence, c’est quasiment une irrésistible hystérie qui traverse le Molto vivace, sans pour autant mettre à mal les pupitres. À l’impact de fin du monde des timbales succède la joie contenue du deuxième motif, dans un raffinement indicible des timbres. La formidable épopée des entrelacs instrumentaux est portée en envolée héroïque par l’exacte définition des cuivres. Belliqueuse, la reprise est plus qu’incisive : frénétique.

Les vents infléchissent l’Adagio molto e cantabile dans un moelleux discret qui appelle des cordes tendres – celles-ci sont à pleurer ! Les phrases surviennent d’un très lointain nostalgique, comme sans attaque, dans une onctuosité mélancolique que retiennent à peine des pizz’ très en relief. Ce moment de grâce n’a rien de serein, assurément. Ce que vient confirmer le tonnerre du Presto. Avec l’ode entonnée comme d’un seul homme (contrebasses et violoncelles), une déroutante respiration du silence et une dynamique infiniment subtile, le dernier mouvement se laisse délicatement habité par les mélismes de bois, portant bientôt le thème comme en épiphanie, sans lourdeur aucune.

Une distribution vocale grands formats était réunie pour l’occasion, à commencer par Karl-Heinz Stryczek, robuste Heldenbaryton, qui satisfait pleinement. On retrouve Reiner Goldberg, ténor wagnérien en pleine possession de ses moyens [comme pour son Parsifal – lire notre critique du CD], dont le suraigu généreux nous arrive sans effort apparent. Si l’alto d’Ute Walther demeure à peine en-deçà, la lumière d’Edith Wiens fait merveille. S’ajoute une masse chorale vaillante et dûment nuancée (Chor der Staatsoper Dresden). Le chef use d’un franc ancrage au sol pour mieux élever ce final vers des hauteurs célestes, laissant entendre au passage tout ce que Berlioz doit à Beethoven dans l’énigmatique fragmentation et les mystères de l’instrumentation.

Excellence des cors, chaleur des bois et cordes à nulles autres pareilles, la qualité de la Staatskapelle Dresden est toute au service de cette version densément musclée, frémissante, expressive jusqu’à un je-ne-sais-quoi de « panique » qui ravit l’écoute. L’hymne est livrée dans une ferveur infinie, figeant l’insert du quatuor vocal comme un arrêt sur image avant l’enthousiasme fou des dernières mesures. On ne s’en lasse pas.

BB