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Chroniques
Ludwig van Beethoven
Quatuors à cordes Op.18 n°1 – n°4 – n°5
Commanditaire et dédicataire de quelques quatuors de Haydn, le Comte Apponyi souhaite, dès 1795, voir Beethoven lui composer un quatuor à cordes. Le musicien refuse longtemps, ne souhaitant pas se plier à une norme créative. Cependant, les ouvrages de l'époque portent la trace de cette forme musicale à laquelle il va bientôt s'attacher.
Privilégiant la conduite du rythme plutôt que le système harmonique, Beethoven s'inscrit bien, avec l'Opus 18, dans une mouvance classique qui se détache du baroque. Le compositeur souhaite épuiser les ressources que lui offre cette œuvre de commande ; les manuscrits témoignent du travail réalisé à cet effet (la réécriture du Quatuor en fa majeur en est un exemple parlant). Dans une lettre à un ami datant de 1801, il confie : « c'est à présent seulement que je sais écrire convenablement des quatuors ».
Les trois présentés ici datent de 1799 ; ils sont dédiés à un admirateur, le Prince Lobkowitz. Le Quatuor en fa majeur, d'inspiration haydnienne, est le premier de l'opus. Énergie, rudesse et âpreté caractérisent l'Allegro con brio du début. Le second mouvement, plus lancinant, souhaite évoquer« la séparation de deux amants », à la manière de Roméo et Juliette. Le gracieux Scherzo plein d'élan ne manque pas d'une légèreté qui peut le rendre dansant. L'Allegro, enfin, dépasse Haydn par son invention rythmique et contrapuntique. Un refrain y revient sans cesse se mêler à la forme sonate pure, ce qui apporte à l'ensemble son côté primesautier.
Le Quatuor en ut mineur est le quatrième de l'opus. Il fit scandale auprès des traditionalistes baroques mais eu un grand succès public. Beethoven, insatisfait de ce morceau écrit probablement d'un seul jet, finit par le prendre en horreur (« C'est de l'ordure »). Le thème du départ nous entraîne dans une atmosphère de drame, alliant allégresse du rythme et tragique de la couleur. L'Andante, plus léger sans être lent, est un travail sur la polyphonie des lignes mélodiques horizontales. Le Menuet, malgré beaucoup d'élan, favorise la force intime plutôt que l'aspect dansant et badin. L'indication du compositeur, de le reprendre plus vite la seconde fois, le dramatise. Comme précédemment, un refrain sert de pivot pour la construction de l'Allegro final. Oscillant entre les couleurs sombres du drame et de fraîches minauderies, l'interprétation du Quatuor Pražák est élégamment contrastée.
Le Quatuor en la majeur, cinquième de l'opus, rappelle un peu, par sa tonalité, le Quatuor K.464 n°18 de Mozart. Il est composé en même temps que le Quatuor n°2 et que le Septuor. Une petite chanson désinvolte sert de ritournelle de départ. D'une allure traditionnelle, le Menuet arrive ensuite, comme un moment qui se partage entre intimité et rusticité. L'Andante cantabile, aux cinq variations, est d'une grande variété de tons. Quant au dénouement, après ce mouvement d'une longueur certaine, Beethoven y privilégie le côté alerte et rapide de l'échange entre demandes et réponses des instruments.
Indéniablement, c'est avec cette œuvre que le Quatuor Pražák fait mouche dans l'enregistrement présent, happant l'écoute dès l'exposition sautillante des premières mesures et entretenant sur l'ensemble de l'exécution une inquiétude saisissante. Ainsi le Menuet semble-t-il âprement articulé, et l'on pourra y trouver un ton tristement ironique fort intéressant. De même le début du troisième mouvement parait-il dépouillé comme le souvenir d'une vieille chanson vigneronne, avant d'enchaîner des variations de plus en plus mordantes, voire rageuses, affirmant une interprétation subtilement nuancée et particulièrement expressive ne se contentant jamais de quoi que ce soit d'anodin. La version Pražák de cette page sera vite considérée comme une référence, n'en doutons pas.
HK