Chroniques

par laurent bergnach

Luigi Nono – Wolfgang Rihm
pièces pour chœur

1 CD æon (2014)
AECD 1441
EXAUDI chante cinq pièces pour chœur signés Nono et Rihm

En 1980, commentant la trentaine de réponses reçues par la revue Laboratorio musica suite à l’édition d’un questionnaire sur la musique contemporaine, Luigi Nono (1924-1990) évoque « les grandes possibilités de la voix humaine, à approfondir dans le dépassement des codes historiques limités et dans l’étude, non pour en tirer des formules immédiates, mais pour comprendre l’intention de ses éléments, de la physiologie aux structurelles phonétiques, aux inflexions pratiques dans la formulation, dans l’articulation et dans la transformation du son, jusqu’à l’ordinateur, qui n’est pas une fin en soi […] » (in Écrits, Contrechamps 2007).

Quoi de mieux qu’un chœur nu pour exprimer le lyrisme et les préoccupations sociopolitiques qui animent le Vénitien, depuis Intolleranza 1960 [lire notre critique du CD] jusqu’à Prometeo (1985) ? Conçu pour les quarante ans de Maderna, Sarà dolce tacere (Washington, 1961) s’inspire des mots de Cesare Pavese célébrant la tranquillité campagnarde. L’ensemble, explique le chef (et compositeur) James Weeks, est traité comme une seule voix à plusieurs têtes, du fait de la distribution des syllabes entre les intervenants (jamais plus de huit, comme pour les autres pièces ici réunies). La nuance caractérise cet opus qui alterne vaillance et délicatesse, à l’instar du plus tardif ¿Dónde estás, hermano? (Cologne, 1982), « per los desaparecidos en Argentina ». En effet, la perte du « frère » disparu autorise deux soprani, un mezzo et un contralto à peindre une douleur multiforme (silence, murmure, vocalise, cri perçant, etc.).

On a retrouvé un brouillon daté de 1982 (un programme de concert ?) contenant ces mots de Nono : « Sciarrino, Vacci, Cappelli et Rihm […] : leur « je dois composer » (et non l’artisanal « je peux composer ») cherche, exige et s’impose à l’écoute » (ibid.). Souvent inspiré par la musique du passé, le compositeur d’Oedipus [lire notre critique du DVD] n’a jamais caché l’influence de son confrère italien. Pour d’aucuns, le bref et caressant Mit geschlossenem Mund (Cologne, 1982) s’y réfère sans doute possible, de même que Quo me rapis (Stuttgart, 1990), chœur aéré et austère – mais sans crispation –, d’où fusent syllabes détachées et incises solistiques.

Si Horace et ses réflexions sur l’inspiration poétique sont à l’origine de cette dernière pièce, Rihm a choisi des extraits de l’Office des Ténèbres pour Sieben Passions-Texte, dans la lignée biblique des cinq motets a cappella qui forment Fragmenta Passionis (1968). Constituant la moitié d’une pièce plus complexe nommée Vigilia (Berlin, 2006), pour six voix et ensemble, ces Sept textes de la Passion sont dominés par l’esprit de la Renaissance, et plus particulièrement par celui de Carlo Gesualdo di Venosa – sensible dans les « frottements » caractéristiques des portions V et VI. Talentueux, les Londoniens d’EXAUDI (fondé en 2002) subliment les passages poignants, grâce à une volonté de servir au mieux leurs contemporains – dont Ferneyhough [lire notre critique du 12 novembre 2012] et Finnissy [lire notre critique du CD].

LB