Chroniques

par laurent bergnach

Marc-Antoine Charpentier
David et Jonathas

1 DVD Bel Air Classiques (2013)
BAC 093
Marc-Antoine Charpentier | David et Jonathas

Roi d’Israël, Saül héberge en son palais le jeune berger David qui a vaincu le géant Goliath, dont le chant apaise ses angoisses. Mais craignant d’être un jour détrôné par le garçon qui, de surcroit, s’attache profondément à son fils Jonathas, il finit par le chasser. Le souverain se rend alors auprès d’une pythonisse qui lui prédit la perte de tout ce que Dieu lui a donné. Pendant ce temps, David trouve refuge dans le camp des Philistins, ennemis d’Israël, sur qui règne Achis. Ce dernier, avec l’approbation du berger devenu un héros, négocie une trêve avec Saül. À force d’intrigues et de calomnies, Joabel, chef de l’armée philistine, parvient à faire échouer le projet et la bataille reprend, confrontant Jonathas à un choix cornélien : doit-il suivre son ami et abandonner son père ? La question ne sera pas tranchée puisque, blessé à mort avant que son père le soit à son tour, le jeune homme expire dans les bras de David bientôt proclamé nouveau chef du royaume des Juifs.

S’inspirant d’un épisode de l’Ancien Testament, le Père François de Paule Bretonneau livre à Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) l’ossature d’une tragédie en musique en un prologue et cinq actes. Concentrés sur les conflits psychologiques des personnages, ils sont présentés avec succès au Collège Louis-le-Grand (Paris), le 28 février 1688, en alternance avec ceux de la tragédie latine Saül du Père Étienne Chamillard qui exposent plutôt l’action – avec « pour but d’édifier, de donner une leçon de morale qui exalte les notions de fidélité, d’honneur, d’amour pur tel qu’on peut le concevoir dans un contexte chrétien, bref de faire l’apologie de la philosophie des Jésuites », comme le rappelle William Christie.

De cette œuvre d’un genre nouveau (prologue sans hommage au roi, absence de récitatifs et de divertissements) dont le sujet enflammerait plus tard Händel [lire notre critique du CD] et Testi [lire notre critique du CD], Andreas Homoki propose sa vision au Festival d’Aix-en-Provence, en juillet 2012 – laquelle serait visible à Paris quelques mois plus tard [lire notre chronique du 16 janvier 2013]. Dans un espace sobre, il opte malheureusement pour une mise en scène décorative, un jeu convenu voire surfait, maniéré sinon mièvre. Tout donne l’impression d’une version de concert déguisée qui noie le poisson à force de va-et-vient inutiles, de gesticulations assommantes. Égaré par un premier quart d’heure abstrus, le spectateur doit ensuite subir la récurrence d’images du passé (regards noirs de Saül sur David, ad libitum), baignées d’un pathos ridicule (la mort de la mère).

Qualifié de « ténor haute-contre » par le chef de fosse, Pascal Charbonneau (David) est la seconde cause d’agacement du spectacle, accusant un timbre ingrat doublé d’un chant analogue. Ana Quintans (Jonathas) s’exprime avec évidence et Neal Davies (Saül) avec nuance – deux artistes déjà présents dans l’oratorio Judicium Salomonis, enregistré jadis par Les Arts Florissants [lire notre critique du CD]. Frédéric Caton (Achis) s’avère fiable, tandis que Krešimir Špicer (Joabel) intervient avec souplesse et grâce. Dominique Visse incarne La Pythonisse. Sensible à la sensualité du livret et à sa musique, Christie défend l’ouvrage avec une superbe incroyable, sachant être altier et élégant sans être pompeux.

LB