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Chroniques
Marcel Marnat
Giacomo Puccini
Issu d'une lignée de musiciens fidèles à la province de Lucques (Toscane), d'abord enfant de chœur, puis Premier Prix d'orgue, Giacomo Puccini (1858-1924), aurait pu se contenter de petites œuvres religieuses ou patriotiques, composées à usage local. Mais à vingt-et-un ans, avec l'accord de sa mère, il part s'inscrire au Conservatorio Reale de Milan. Comme plus jeune à l'école, il s'ennuie fort dans cette institution mais, très doué, boucle son cursus avec un an d'avance. C'est l'époque où, curieux comme jamais de musique, il découvre l'opéra français (Les Huguenots, Faust, Mignon, Carmen) dont il se sentira toujours proche, mais déplore son manque de moyens pour acquérir des partitions récentes. Puis vint le temps de Villi, Edgar, Manon Lescaut, premières pierres d'un édifice dédié à la quintessence du mélodrame. « Que ne suis-je symphoniste ! » écrira-t-il un jour, épuisé par ce qui paraîtra comme un sacerdoce.
Il y a plus d'un atout au travail de Marcel Marnat. Le principal est de détailler la genèse des opéras écrits par Puccini, ou simplement en projet, d'où la somme de ces échanges avec son éditeur Ricordi, des reproches à ses librettistes successifs ou potentiels – comme d'Annunzio, jugé « trop alambiqué, trop capiteux » – et l'évocation de personnages aussi variés qu'Aphrodite, Guillaume Tell, le Roi Lear, Trilby ou Esmeralda. Si l'Italien, quasi inculte, aura attendu toute sa vie (souvent d'autrui) le bon sujet à traiter, il sait en revanche ce qu'il veut musicalement : « en finir avec les vieilles carcasses coutumières, garder l'émotion tout en accédant à des constructions plus modernes ». Le créateur se méfie des sujets historiques, des modes et du pompiérisme, autant qu'il s'intéresse aux mises en scènes modernes ou à la première italienne du Pierrot lunaire (Florence, 1921).
De fait, le portrait du compositeur est dépoussiéré et examiné au grand jour ; Marnat retire les fausses étiquettes qui s'y collent par strates depuis des lustres – des accusations de bassesse et de trivialité dont souffrit aussi Zola, aux associations injustes avec le vérisme de certains compatriotes, jusqu'à ces légendes encore colportées de nos jours dans des ouvrages de « musicologie fonctionnaire (ou blasée) ». Qu'on ait taxé ce bon vivant – fumeur, chasseur, coureur – de sympathisant fasciste parce que Mussolini avait récupéré sa Butterfly est déjà ridicule, mais pourquoi avoir entretenu une image de bon catholique, voire de bigot, quand l'homme aura vécu des années avec une femme adultère, que toute son œuvre trahit une veine anarchisante, et qu'assister aux obsèques de Verdi est aussi l'occasion d'une visite à une exposition automobile ? Dans ces traits contre la bêtise et la mauvaise foi, le biographe est bien obligé de citer Hahn, Saint-Saëns, Dukas et Debussy.
Dernier talent de Marnat : avoir conçu plusieurs îlots d'annexes – Mondiorama, Comparses, Catalogue – qui libèrent l'ouvrage de références historico-artistiques pointues, et le rendent accessible à tout lecteur, comme un roman. Ainsi, quand régulièrement une œuvre d'art est analysée, c'est avec beaucoup de simplicité, et même une certaine rapidité au regard de l'épaisseur de l'ouvrage – lequel reste donc, avant tout, l'histoire de la vie d'un homme. L'ensemble est servit avec un ton souvent savoureux, et on espère que beaucoup de lecteurs s'amuseront de ses piques adressées aux « aficionados les plus rétrogrades », « sopranos mélécasses » et autres « ténors dégueulants » aux antipodes de l'art puccinien.
LB