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Mark Andre
…auf…
Tant connaisseur de la musique de ses contemporains que de celle de la Renaissance, Mark Andre, compositeur français né en 1964 (initialement dénommé Marc André, il décida de germaniser son nom), ne s’est pas contenté de boire benoîtement l’enseignement d’Helmut Lachenmann. Si son style lui doit beaucoup, encore affirme-t-il une personnalité bien tranchée qui absorbe l’influence vers un ailleurs fécond qui partage fort peu avec les autres représentants de la génération post-lachenmannienne. Aucun systématisme du silence bruiteux ni de la saturation forcenée dans sa facture, mais un art contrasté qui manie les apories du grand effectif.
Après que notre collègue eut abordé le théâtre musical d’Andre avec ...22,13... [lire notre chronique du 28 septembre 2004], nous découvrions, il y a une dizaine d’années, …auf…2 en création mondiale, sous la battue de Pierre Boulez [lire notre chronique du 26 septembre 2007]. De fait, si le numéro 2 s’accole au titre, c’est qu’un précédent chapitre avait été composé, mais aussi qu’un troisième vint clore le cycle. D’abord créées séparément, à la fin de l’année 2007, et par trois formations – septembre, …auf…2 à Baden Baden, Ensemble Modern ; octobre, …auf…3 à Donaueschingen, Südwestrundfunks Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg ; décembre, …auf…1 à Munich, Sinfonieorchester des Bayerischen Rundfunks –, les trois parties furent rassemblées pour une première complète le 28 mars 2009, à la Philharmonie de Berlin. Le présent témoin réunit des prises de sons live effectuées lors des concerts berlinois, bruxellois et parisien du Südwestrundfunks Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg, placés sous la direction de Sylvain Cambreling.
Auf est un mot riche en ce qu’il peut dire plusieurs choses. Selon l’usage qu’on en fait, c’est encore ou dessus, en, ouvert, sur, etc. Alors que les deux premières pages convoquent le même instrumentarium – quatre flûtes, quatre hautbois, quatre clarinettes, quatre bassons (et contrebassons), six cors, quatre trompettes, quatre trombones, tuba, timbales, trois percussionniste, deux pianos, deux harpes, huit violons I, sept violons II, six altos, cinq violoncelles et quatre contrebasses –, la troisième ajoute un clavier d’échantillonnage et nécessite une spatialisation électronique en temps réel et six percussionnistes disposés autour du public. La disposition des sources instrumentales fit le choix de décisions très calculées pour jouer au mieux avec la perception.
Les cordes effleurent une sorte de pédale évanescente où percussions et flûtes bondissent avec une fureur furtive. Ainsi commence …auf…1, qui manie des sonorités contraires, les unes en continuo presque éthéré, les autres en attaques félines et sans suite, bien que redondantes (les pianos, notamment), celles-là en bourdon bruitiste, celles-ci en ricochets (cuivres et percussions), d’autres encore en infiltrations suivies (cordes) ou en volées de cloches. Après une raréfaction trompeuse, le troisième tiers aboutit à une réminiscence mahlérienne avortée, noyée dans les feulements de gestes instrumentaux inassouvis, disparaissant alors dans l’évanescence initiale.
Des claquements discrets ouvrent …auf…2, duo de pianos bientôt assumé, après divers masques, puis obstinément façonnés dans la brouille des pédales. L’orchestre rejoint les pianos après plus de trois minutes, par injections souterraines de plus en plus invasives. Sforzato, les pianos échangent avec des vents agressifs. L’inventivité du travail des timbres s’impose, tant dans le façonnage des émissions multiphoniques aux effets plus indéfinissables encore (quelques intrusions choséique assez insolites) que dans les suspensions harmoniques idéales. Une insistance campanaire marque la fin du deuxième tiers. Comme le premier, cet épisode se dissout peu à peu dans une sorte de paysage qu’il caresse.
Dans le prolongement, d’abord humble puis amer et tendu, de cette cajolerie du matériau naît …auf…3, en douceur. Soudain des salves percussives percent les gabarits acoustiques, engageant l’écoute dans une nef féconde qui l’intrigue, modulant son échelle dans une autre dimension. On retrouve le goût du contraste qui animait …auf…1, dans une aura ici renouvelée. La richesse indicible des résonnances, l’incessante transformation des sources enveloppe l’auditeur auquel est présentée une turbulence sphérique durant le troisième quart. Le retour des bondissements de tantôt n’est pas une citation mais un développement tardif qui renoue avec les souffles du commencement, respiration de forge virtuelle. Après une errance méticuleuse dans un gazouillis de frissons, puis une minute d’appels concentrés de part et d’autre, le triptyque s’éteint, timidement.
BB