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Chroniques
Martin Gester et Le Parlement de Musique
Carissimi – Colista – Frescobaldi
Martin Gester et Le Parlement de Musique – créé par lui en 1990 – nous proposent ici un reflet de ce qui devait être à portée des fidèles et pèlerins du milieu du XVIIe siècle, dans les oratoires romains, en période de carême.
Giacomo Carissimi (1605-1674) est le célèbre compositeur d'oratorios dans la Rome de l'époque. Nommé maître de chapelle à l'âge de vingt-quatre ans, il occupa ce poste jusqu'à sa mort. Cependant, sa figure reste entourée de mystère, de même que ses œuvres ne sont pas toujours faciles à authentifier. Auparavant, il avait été organiste et chantre à la cathédrale de Tivoli qui l'avait engagé alors qu'il n'avait que dix-sept ans. On le retrouve en tant que maître de chapelle à Assise. Il a beaucoup composé pour l'église, et s'ingénia principalement à construire les canons qui édifieront l'oratorio en tant que genre important, tel que nous pouvons le connaître aujourd'hui. On trouvera beaucoup de motets dans sa production, mais surtout des drames à sujets bibliques comme Historia Jonae, Lucifer, Historia divitis ou Deluvium universale, toujours chantés en latin. Il développera également l'art de la Séquence, et il s'en fallut sans doute de peu qu'on lui dût quelque Stabat Mater comme à tant d'autres. Peut-être le caractère plus méditatif de tels sujets ne convenait il pas à son tempérament facilement tourné vers une grandeur plus tapageuse. De fait, il est indéniablement le premier à souligner à ce point le caractère épique des sujets qu'il traite, rendant le plus théâtral qui soit l'intervention des démons dans Damnatorum lamentatio que l'on pourra entendre sur le présent enregistrement. Enfin, pour parfaire cette présentation, précisons que sa production compte environ deux cents cantates, autant d'oratorios et une dizaine de messes, ainsi qu'une théorie de composition.
C'est dans le Livre des Juges que Carissimi trouve la matière de son Historia di Jephte. Avec retenue mais de manière implacable, il évoque le dilemme d'un père déchiré entre le vœu d'obéissance fait à Dieu et son amour pour une fille unique promise en sacrifice. Sans être tirés de la Bible, les textes de deux autres de ses oratorios imitent des versets de psaumes et sont proches de certains sermons de prédicateurs. On y retrouve un des motifs favoris de l'art chrétien, à savoir l'opposition entre la Plainte des Damnés (Damnatorum Lamentatio) et la Félicité des Bienheureux (Felicitas Beatorum). Le compositeur ose ici une écriture nettement mélismatique qui trouverait place parmi les œuvres du siècle suivant.
Qui dit épopée pense irrémédiablement à la Compagnie de Jésus, et aux textes de Saint Ignace de Loyola qui ne sont certes pas pour rien dans les choix esthétiques de Carissimi, optant franchement pour les préceptes d'une Contre Réforme plutôt musclée. Sans aller jusqu'à parler de climat guerrier, on regrette dans ce disque un ton assez timoré, fort éloigné du sens et du contexte des œuvres interprétées. Si Le Parlement de Musique articule assez évidemment ces pages, les solistes choisis semblent peu à la hauteur, et parfois hors propos. En général, nous avons affaire ici à de petites voix incertainement placées qui traînent sur le bas de la note avec exagération. Certes, de lourds vibrati n'auraient pas été bienheureux, on le leur accordera, mais des choix si radicaux que ceux qu'ils exploitent asservissent les œuvres à des batailles de clocher plutôt que de les servir en toute objectivité. Tout cela tourne immanquablement à la revendication maniérée, et c'est bien dommage. On sait d'autres tentatives, moins érudites peut-être, moins prétentieuses certainement, qui défendent plus directement ce répertoire ; pour n'en citer qu'un, rappelons-nous le travail de Diego Fasolis, pourtant spécialisé dans un baroque plus tardif, qui va droit au but.
On trouvera dans cet enregistrement des pièces d'un aîné que le temps à plus ménagé : renommé pour ses improvisations et ses toccatas (dont Partite sopra passagli, pour harpe), Girolamo Frescobaldi (1583-1643) fit paraître deux livres de motets, dont sont tirés O mors illa (O Mort / si amère et si haïssable...) et Deus noster (Dieu est notre refuge et notre force…). Le Ferrarrais avait cultivé une approche personnelle de la musique sacrée suite à son séjour en Flandres au service du cardinal Bentivoglio. Aussi écrivit-il de nombreuses canzone dont on pourra aisément entendre la trace dans son œuvre religieuse. C'est par sa production purement instrumentale qu'il est connu à notre époque, ses recueils de pièces pour clavecin ayant connu depuis une cinquantaine d'années un regain d'intérêt, de la part des interprètes comme des mélomanes. Le ton de l'équipe réunie autour de Martin Gester convient mieux à la production de ce compositeur.
Enfin, deux symphonies en si bémol majeur et en ré majeur du romain Lelio Colista (1629-1680) – benjamin de Carissimi, qui fit une carrière de veilleur de la galerie de la Sixtine parallèlement à son activité de musicien, et qui pourra faire ici figure d'avant-garde vers le classicisme plus tardif – complètent avantageusement ce programme conçu comme un Concert Spirituel à Rome en 1650 (c'en est le titre, tout simplement).
HK