Chroniques

par hervé könig

Martin Matalon
Le scorpion

1 SACD Accord (2004)
476 1280
Martin Matalon | Le scorpion

En 1930, Charles de Noailles mécène deux créateurs par des commandes généreuses : Jean Cocteau qui réalise à cette occasion Le Sang du Poète, et Luis Buñuel qui livre son désormais mythique Âge d'or. Passionné de cinéma, le compositeur argentin Martin Matalon fait se rencontrer la toile et son art dès 1993 avec La Rosa profunda destiné à l'exposition sur Borges à Beaubourg. L'année suivante, il écrit Metropolis, convoquant seize musiciens et bande, pour la projection du célèbre film de Fritz Lang. Deux ans plus tard, Las siete vidas de un gato inaugure le premier volet de son travail sur le cinéma de Buñuel, accompagnant ici Le chien andalou (1927) ; la pièce sera remaniée pour orchestre quelques années plus tard, et deviendraEl Torito catalan. En 2002, le Centre Pompidou, l'Ircam et le Musée d'Art Moderne conjuguent leurs efforts pour la restauration de L'Âge d'or (post-synchronisation : Emmanuel Jacomy et Micky Sébastian ; restauration des dialogues originaux : Tom Mays, Romain Mules et Axel Röbel ; mixage : Frédéric Prin), et Matalon signe Le Scorpion. L'Auditorium du Musée du Louvre accueillera les solistes de l'Ensemble Intercontemporain en mars prochain pour la création de Traces II (édité par Billaudot) qui soutiendra la projection deLas Hurdes (1932), achevant ainsi ce que l'on pourra désormais appeler leTriptyque Buñuel. Martin Matalon présente ainsi son Scorpion :

« J'ai totalement épousé le principe buñuélien d'une forme dont chaque section débouche sur une autre, les deux n'ayant que peu ou pas de relation entre elles. C'est sans doute la forme musicale qu'on retrouve le plus souvent dans mon travail ».

Écrite pour piano, percussions et électronique, cette partition tient compte sans s'y soumettre de la rapidité vertigineuse des plans du cinéaste, se préoccupant moins de rythme que d'inventer un métadiscours musical par delà les images – le livret (signé Pascal Ianco) parle bel et bien d'un « contrepoint du film » et non d'illustration ou de support. La leçon de chose sur la vie des sympathiques arachnéens des régions méditerranéennes introduit L'Âge d'or, sur une musique d'une fluidité inquiétante, convoquant de continuels cliquetis dans une intéressante profusion duvoyage sonore. Peu à peu, on entrera plus profondément dans la nature même d'un organisme vivement agressif, jusqu'en sa chimie, enfouissant la sonorité de La choza (Quatrième mouvement). Les bandits change diamétralement d'atmosphère, amenant Les majorquins et son piano dans un progressif déchaînement rythmique où tant Dimitri Vassilakis queLes Percussions de Strasbourg révèlent une fois de plus leurs talent, après quelques traits inspirés d’…Explosante-fixe…. (Pierre Boulez). Le plus calme Rome pourrait bien marquer une sorte de fin de première partie, avant que ne s'enchaîne la série des Valses et des Claques, usant d'une grande diversité de matériaux. Pour finir, la pièce s'éloigne dans une douceur inquiète.

HK