Recherche
Chroniques
Maurice Ohana
Sundown Dances – Cris – Sibylle – Swan Song
C'est un disque en grande partie consacré au travail vocal de Maurice Ohana que propose Musicatreize, ensemble qui, depuis 1987, et sous la direction de son créateur Roland Hayrabedian, défend les nouveaux classiques et sans doute ceux de demain.
« La voix m'intéresse, disait Ohana, parce qu'elle n'a pas de frontière de tempérament : je veux dire par là que les quarts de ton, les tiers de ton, les sons distincts sont parfaitement possibles à la voix sans aucun obstacle d'une part, et d'autre part, il y a dans la voix ce passage du langage chanté au langage parlé qui recèle lui aussi une quantité de trésors sonores qui ont toujours été pour moi un pôle d'attraction, précisément parce que j'ai toujours pensé qu'il fallait faire éclater le tempérament, la gamme diatonique qui était épuisée dans ses ressources, et que seul en prenant le son lui-même, c'est-à-dire le fondement même du langage musical, on pouvait à la fois renouveler le langage, les formes et le mode d'expression. »
Très jeune en contact avec le piano, Maurice Ohana (1913-1992) poursuit ses études musicales notamment par des cours d'harmonie et de contrepoint, suivis auprès de Daniel-Lesur, de 1937 à 1940. Si l'utilisation du clavier est privilégiée dès ses premières compositions de 1944, la voix deviendra elle aussi un instrument récurrent, sous des formes très variées : des mélodies (1947), un oratorio (1950), des cantigas (1953-54), un Office des Oracles (1974), des madrigaux (1976), une Messe (1976), des Contes (1978) jusqu'à La Célestine, tragi-comédie lyrique d'après Fernando de Rojas, composée de 1982 à 1986 et présentée à l'Opéra Garnier en juin 1988, quatre ans avant la disparition du créateur.
Malgré sa rapide composition (de novembre 1968 à janvier 1969), Cris est une œuvre complexe et dense. Ohana, explique l'écrivain Richard Millet, y « donne à entendre l'histoire du cri, le chant terrifié depuis les cavernes et les forêts obscures jusqu'à ses détournements politiques contemporains, en passant par ces formes admirables de civilisation que sont la musique sacrée et la polyphonie espagnole de la Renaissance, dont on entend ici les ultimes échos ». Dans cette partition en cinq parties, succession de cris de combat ou de fête dans sa dimension collective (Délirante), douze solistes a cappella utilisent des techniques vocales très diverses, ne se référant au langage que très parcimonieusement.
« Aventure à travers la voix féminine », selon les termes du compositeur, Sybille date également de 1968, mais sera présentée pour la première fois le 5 mai 1970, à l'Atelier de création radiophonique de l'ORTF. La soprano est accompagnée par la percussion et une bande, mais aussi parfois par une paire de crotales placée à hauteur des lèvres, et dont elle prolonge la résonance. Un jeu de répliques, d'échos ou même d'improvisations s'établit ainsi entre chanteuse et instrumentiste. On connaît de l'œuvre une version de concert et une seconde chorégraphique, peut-être plus proche de l'idéal ohanaïen d'un théâtre musical. Kiyoko Okada, d'une belle voix claire, tonique et colorée, fait de ce morceau un des plus émouvants du disque.
Créé le 7 mars 1989 par Guy Reibel et le Groupe Vocal de France, Swan Song revient – vingt après Cris – à l'écriture pour orchestre vocal a cappella. Imaginée comme un ironique Requiem à lui-même, l'œuvre en quatre temps, simple en apparence, foisonne de références musicales et culturelles savamment agencées. L'incantation d'inspiration africaine côtoie l'invocation purement catholique, le negro-spiritual succède au faux-bourdon médiéval pour ce rite conjuratoire de la mort qui se clôt sur un mambo.
Achevée en novembre 1990, Sundown Dances est une commande d'Erick Hawkins, ami du compositeur, fondateur et directeur à New York de la compagnie de danse éponyme. Cette suite de ballet, créée en mai 1991, répond au souhait instrumental du chorégraphe et dédicataire : quatre vents (clarinette, flûte, trompette, trombone basse), deux cordes (violon, contrebasse) auxquels s'ajoute la percussion, très présente dans les parties rythmées du début. On retrouve dans cette œuvre toute en contrastes les influences métissées (espagnoles, afro-cubaine, afro-américaine…) souvent présentes chez Ohana, avec une attention particulière apportée aux sonorités en demi-teintes, à la moirure des masses et à l'effet de spatialisation.
LB