Chroniques

par laurent bergnach

Mauricio Sotelo
El público | Le public

1 DVD Bel Air Classiques (2016)
BAC 134
Pablo Heras-Casado crée El público (2015), opéra de Mauricio Soleto

Dernière des pièces de Federico García Lorca (1898-1936), La casa de Bernarda Alba (La maison de Bernarda Alba, écrite en 1936, créée en 1945) occulte les œuvres du poète faisant la part belle à un univers moins féminin. Alors qu’El malefico de la mariposa (La malédiction du papillon, 1920), premier essai à l’initiative du Teatro Eslava (Madrid), affiche l’union impossible d’un lépidoptère avec un cafard, El público (Le public, écrit en 1930-1936, créé en 1972) évoque les amours masculines, elles aussi contrariées. Qui connaît la vie du poète se souvient d’ailleurs de son attachement intense mais non réciproque à Salvador Dalí, lequel joue avec ses nerfs – « bon, je t’aime, et maintenant, j’ai de la classe. Tu ne crois pas que les seuls poètes, les seuls qui réalisent vraiment une nouvelle poésie, c’est nous, les peintres ? » (10/15 octobre 1927).

Plus d’un demi-siècle après Wolfgang Fortner (Bluthochzeit, 1957) [lire notre critique du DVD], Mauricio Sotelo visite la terre de l’Andalou, en compagnie du librettiste Andrés Ibáñez. Proche des mots de l’auteur d’Yerma mais aussi de la pensée de celui d’Intolleranza 1960 [lire notre critique du CD], le compositeur et chef espagnol (né en 1961) a souvent évoqué, voire rapproché les deux, notamment dans l’orchestral Frammenti de l'infinito – Lorca-Nono diálogo del Amargo (1998). Lui aussi récurrent dans ses procédés créatifs, un flamenco sans nostalgie s'impose au fil des ans, rappelant que le musicien aborda son art par l’approche de la guitare.

Cinq scènes avec prologue composent l’opéra. Le directeur et metteur en scène Enrique a une vision : trois chevaux (instinct de la psyché) et trois hommes (figures de l’ancien amant, Gonzalo). Ce dernier lui reproche sa version timorée de Romeo y Julieta, et l’engage à défendre un théâtre undergroudteatro bajo la arena »). À titre privé, Enrique est déchiré entre son grand amour et sa femme Elena, symbole d’une vie de conventions. Les deux hommes disent leur attachement, transformés en feuillu Pámpanos et tintinnabulant Cascabeles – symboles sensuels qui s’opposent à la violence d’un empereur romain. Julieta sort alors du tombeau pour défendre un art nouveau, jusqu’à laisser sa place à un jeune garçon qui sème la discorde : les étudiants prônent l’amour libre, les femmes la tradition bourgeoise. Gonzalo succombe à la furie du public. Sa mère vient réclamer le corps, tandis qu’Enrique s’accepte tel qu’il est.

Filmée en mars 2015 au Teatro Real, cette commande de Gerard Mortier est mise en scène par Roberto Castro. Avec une fougue des chevaux-danseurs chorégraphiée par Darrell Grand Moultrie, l’onirisme et le symbole dominent et fascinent, fondés sur un allégement du décor (Alexander Polzin) et des costumes souvent voluptueux (Wojciech Dziedzic) – le parfait contraire du réaliste Brokeback Mountain, sur ses mêmes planches, un an plus tôt [lire notre critique du DVD].

Endossant plusieurs rôles, d’excellents chanteurs portent le projet.
Face au sonore José Antonio López (Enrique), on apprécie le tendre Thomas Tatzl (Gonzalo) – abonné aux raretés [lire notre critique du DVD Das Labyrinth] –, Josep Miquel Ramón (Centurion), Antonio Lozano (Berger), mais aussi Erin Caves (Magicien), clair et tonique. L’ampleur expressive de Gun-Brit Barkmin séduit en Elena [lire nos chroniques des 13 avril et 2 août 2013], de même que l’agilité précise et nuancée d’Isabella Gaudí (Julieta) dans un magnifique solo de bel canto d’aujourd’hui, quasi a cappella. Subtil, Pablo Heras-Casado guide Klangforum Wien et chœur maison dans une œuvre à l’écriture très libre. Côté flamenco, enfin, citons les réputés Arcángel et Jésus Méndez, ainsi que le guitariste Cañizares.

LB