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Chroniques
Max Reger
œuvres pour orgue (vol.4)
On joue encore peu l'œuvre du compositeur allemand Max Reger. Né en 1873 à Brand (en Bavière), il passe son enfance et son adolescence à Weiden, et doit son intérêt précoce pour la musique à l'enthousiasme de son père, maître d'école et musicien amateur qui lui donne ses premières leçons, puis à Hugo Riemann qui l'accepte comme élève. Sa visite au Bayreuther Festspiele à l'âge de quinze ans sera bien évidemment tout autant déterminante pour l'orientation de sa carrière. Il écrira très tôt, mais un service militaire mal vécu affaiblira ses santés physique et spirituelle. La période de convalescence qui s'ensuivrait, au domicile familial, voit s'accumuler de nombreuses compositions, en particulier pour l'orgue. De 1901 à 1907, Reger s'installe à Munich. Il sera nommé Docteur Honoris Causa par l'Université d’Iena en 1908. Vu comme un défenseur de l'absolu musical, comme un héritier de Wagner et Liszt, sa position n'est pas facile. Même si sa notoriété de pianiste grandit, c'est au terme de ces six années que sa vie change réellement, lorsqu'il accepte un poste de professeur de composition à l'Université de Leipzig, puis devient chef d'orchestre pour le Duc de Saxe-Meiningen. Beaucoup considèrent Reger comme le plus grand compositeur allemand pour orgue depuis Bach. Bien que catholique, il n'a pas renoncé à la tradition luthérienne, et donc à la richesse de ses chorals.
Naxos édite aujourd'hui le quatrième volume de la vaste œuvre pour orgue de Max Reger. Josef Still joue les orgues de la Cathédrale de Trèves. Le programme de son disque s'ouvre avec la Fantaisie-Chorale sur Wie schön leucht uns der Morgenstern Op.40 n°1 écrite 1899. On reconnaîtra bien sûr l'héritage de Johann Sebastian Bach, pour la structure et la forme, principalement, mais aussi les traces de Brahms, Liszt et Frank dans l'harmonie et le climat. L'œuvre s'inscrit dans un post-romantisme échevelé, très contrasté, tour à tour monolithique puis copieusement grandiloquent. Le Choral principal est ici joliment articulé. L'interprète donne à cette pièce des graves tout à fait appropriés, terribles et tremblants à souhait. Et, comme plus tard avec l'Opus 52, on parlera plus justement de Fantaisie, Chorale et Fugue si l'on souhaite être exact. Un thème de fugue, typiquement baroque, intervient en fin de partition, et occupe les cinq dernières minutes, jusqu'à s'exalter dans un final monumental, totalement verbeux et surchargé qui nous fait dire que cette œuvre mérite d'être connue en tant que curiosité historique, reflet d'un certain désarroi de quelques-uns des jeunes musiciens de cette époque, sans plus.
Suivent trois hymnes religieuses extraites des douze pièces de l'Opus 59, composées en 1901. Dans le Kyrie, on retrouve une nouvelle fois Liszt, celui des Harmonies poétiques et religieuses pour piano, par exemple. L'atmosphère reste énigmatique, beaucoup plus subtile que dans la pièce précédente, proposant une lecture intelligente du texte même de l'hymne, qui s'achève dans un grand calme discret. Comme il se devait, le Gloria est affreusement pompeux, presque rageur, dans une sonorité claironnante et acide. L'introduction est une sorte de toccata, puis une fugue est plus posément développée. Le Benedictus se montre confiant, doucement contemplatif, avec quelques saillies jubilatoires plus exaltées. Il fallait s'y attendre, le Te Deum s'affirme festif et presque orgiaque ! Il n'y a pas que des pièces d'inspiration religieuse dans cet Opus : ainsi entendra-t-on sur ce CD un Capriccio particulièrement fantaisiste, voire kitsch, qui pourrait annoncer les sonorités d'orgue de barbarie et de château de Dracula du futur Concerto pour orgue de Poulenc ! La mélismatique Melodia (plage 7) apporte une reposante récompense à une écoute qui se veut attentive par conscience professionnelle…
Deux grandes pièces complètent ce quatrième volume : Introduction et Passacaille en fa mineur Op.63 et la Fantaisie-Chorale sur Halleluja ! Gott zu loben, bleibe meine Seelenfreud ! n°3 Op.52, datant toutes les deux de 1900. Cette dernière fait succéder à une grande architecture très nuancée de neuf minutes une fugue toute de délicatesse qui commence dans l'aigu, magnifiquement écrite, sur un thème orné et rapide, là aussi anachroniquement baroque. L'Opus 63 utilise dès l'abord des timbres célestes d'un raffinement surprenant qui viennent apaiser nos oreilles des vilains flonflons. Il y a soudain des choses qui commencent à ressembler au très jeune Messiaen (lorsqu'il commence ses pièces pour orgue, dans les années trente, cela fait quinze ans que Reger est mort et enterré !...). La moitié de la pièce est une lente et suave mélodie, qui fera place à une fugue à trois voix, truffée de modulations, et qui, assez rapidement, se pimente d'éclats aux sonorités clinquantes que le compositeur semblait particulièrement affectionner. Josef Still donne la fin de cette œuvre dans une lumière optimiste qui vient doucement et lentement éteindre les derniers sons, avec ravissement.
AB