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Chroniques
Michaël Levinas
Les nègres
Pianiste, concertiste et compositeur, Michaël Levinas occupe une place à part dans la vie musicale actuelle. Son évolution artistique – marquée par des rencontres avec Perlemuter, Lefébure, Loriod, Messiaen ou encore Scelsi – l'amène tout d'abord à fréquenter le courant spectral, à la co-fondation de l'ensemble L'Itinéraire ainsi qu'à la création de pièces au traitement électro-acoustique – Appels (1974), Ouverture pour une fête étrange (1979) ou encore La Conférence des oiseaux (1985) repris récemment à Paris [lire notre chronique du 1er avril 2006]. Dans les années quatre-vingt dix, le compositeur affirme plus radicalement ses orientations, que ce soit dans le domaine de sa recherche informatique à l'Ircam (synthèse de croisement des instruments, comme dans Préfixes) ou dans l'espace de l'écriture instrumentale (perception du timbre, polyphonie). La voix ne le laisse pas indifférent : après Go-gol (Strasbourg, 1996), Levinas propose Les Nègres, son deuxième opéra, inspiré par la pièce éponyme de Jean Genet et créé à Lyon il y a quelques années [lire notre chronique du 24 janvier 2004]. Le simulacre et la modification sont au cœur de l'ouvrage ; qu'en est-il de la forme donnée par le musicien ? À l'époque, il confiait à notre confrère Bertrand Bolognesi :
« La question du miracle acoustique ou du merveilleux est proche de la fascination pour l'illusion de la scène, et en cela le cérémonial piranésien est important. Il y a eu dans les origines de mon utilisation de l'électroacoustique – j'emploi à dessein le terme dans sa formule datée – cette dimension de la métamorphose ou de l'illusion. […] Quand j'utilise la technique, c'est pour révéler ce que j'appelle les dimensions cachées de l'instrument. Faire en sorte qu'un violoncelle soit plus violoncelle que jamais, qu'un piano soit plus piano que jamais… La technique permet la révélation des essences, mais aussi des connivences entre des timbres instrumentaux et la voix, des connivences qui, à mon sens, existent mais que la technique ferait évoluer, de même qu'on a pu passer du clavecin au piano » (in Opéra Mag n°5, janvier 2004).
Répondant aux nombreux rôles inventés par Genet pour sa clownerie, Levinas a réuni une douzaine de chanteurs pour un livret adapté de sa main – et dont la présence manque cruellement à cette parution discographique pour accompagner l'écoute. Parmi eux, saluons particulièrement l'agilité et les aigus fulgurants de la colorature Wendy Waller (La reine), le timbre coloré du soprano Tinuke Olafimihan (Neige), l'expressivité du contralto Bonita Hyman (Félicité), les aigus musclés du haute-contre Fabrice di Falco (Diouf), la clarté du baryton Jean-Richard Fleurençois (Ville de Saint-Nazaire) ainsi que la voix spacieuse de la basse Herbert Perry (Archibald). Pour le reste, malheureusement, une prise de son largement perfectible laisse peu deviner les subtilités de l'orchestre. Espérons une prochaine production moins indigne…
LB