Chroniques

par bertrand bolognesi

Michael Hans Kater
Huit portraits de compositeurs sous le nazisme

Contrechamps (2011) 440 pages
ISBN 978-2-940068-38-8
Huit portraits de compositeurs sous le nazisme

Troisième et dernier épisode d’une trilogie sur le IIIe Reich et la musique – Des rythmes différents : le jazz dans la culture de l’Allemagne nazie (1992) ; La muse contrariée : les musiciens sous le Troisième Reich (1997) –, le présent volume explore le matériau rencontré et accumulé lors des recherches induites par les deux précédents. Plus qu’un portrait de huit compositeurs, comme il s’annonce, il édifie un miroir trouble de la vie musicale sous le national-socialisme, abordé avec un rare souci d’objectivité. Ainsi les propos tenus sur tel artiste par tels commentateurs sont-ils scrupuleusement jaugés, parfois jusqu’à les contredire, dans un systématique souci de la vérité qui rejette loin les idées reçues et les préjugés de toute sorte.

Car les choses furent assurément complexes durant les treize années du régime hitlérien ; aussi convenait-il de n’en pas trop drastiquement simplifier l’approche. De même Michael Hans Kater, historien aujourd’hui Canadien mais né en 1937 en Saxe (au cœur des monts des trois frontières), aborde-t-il avec prudence et en éminent spécialiste de la dictature allemande le temps qui s’ensuivit, celui du retour à la démocratie et à l’Europe en paix. Ce livre amène de nombreux éclaircissements sans jamais trancher certaines questions.

Peut-on considérer Richard Strauss, sinon comme un nazi, du moins comme un collaborateur hautement compromis ? Certes, il prit à pleines mains des responsabilités importantes dans l’organisation de la vie musicale sous le régime d’Hitler, mais encore en prenait-il avec le même engagement quelques années plus tôt, par exemple. Tout bien considéré, il fut plutôt un gardien du temple romantique qui s’attarda trop peu sur la réalité politique en faveur de la musique, sa patrie avérée, un rêveur imprudent dont on ne prouvera jamais qu’il adhérât à des opinions extrêmes. Bien au contraire protégea-t-il des amis menacés. Paul Hindemith fut-il le vilain petit canard de l’Allemagne des années brunes et des suivantes ? Voilà qui demande un examen approfondi. Carl Orf était-il un fieffé nazi ou un arriviste faisant feu de tout bois pour élargir à tout prix sa part ? Werner Egk fait ici figure d’un réformateur tant enthousiaste qu’impuissant qui se prit pour un « moderne », par exemple…

Traduite de l’anglais par Sook Ji et Martin Kaltenecker, la plume alerte de Kater plonge le lecteur au cœur de la tourmente et de destins forcément contrariés, qu’ils aient participé à la vie du nouveau pouvoir ou qu’ils l’aient fui. Encore sonde-t-elle l’humeur des uns et des autres, souvent ambigüe, paradoxale même. Dans ces lignes, l’éternelle colère de Kurt Weill croise l’ironie d’Arnold Schönberg et l’ego manipulateur d’Hans Pfitzner, sans oublier l’inénarrable narcissisme pervers de quelques chefs d’orchestre des plus illustres et parfaitement redoutables que les commissions de dénazification blanchirent à la va-vite, et auquel on doit la reconstruction globalement heureuse de la vie musicale de l’après-guerre.

Le chapitre consacré à la dissidence de Karl Amadeus Hartmann, avérée mais plus discrète qu’on le croit, ouvre en milieu de volume une fenêtre plus optimiste sur cette période sombre. Un ouvrage dépassionné qu’on lit avec passion !

BB