Recherche
Chroniques
Modeste Moussorgski
Хованщина | Khovantchina
Lorsque le tsar de Russie Fiodor III Alekseïévitch meurt en 1682 – sans doute empoisonné –, une crise éclate entre les clans des deux prétendants au trône : son frère Ivan, âgé de seize ans mais esprit demeuré, et le futur Pierre le Grand, un demi-frère de dix ans à peine. L'Église défend le cadet tandis que la famille de l'aîné, soutenue par les tireurs d'élite nommés Streltsy (mousquetaires), parvient à ses fins grâce à la régence de Sophia Alexeïévna, sœur de Fiodor et tante d'Ivan. Si les Streltsy suppriment tout d'abord les parents de Pierre, ils vont à leur tour subir les foudres de leur ancienne protégée : en effet, aidée par le boyard Chaklovity, Sophia fait décapiter leur commandant soupçonné de mutinerie, l'homme qui donne son nom à l'affaire Khovanski – et dont le fils, dans l'opéra qui nous occupe, meurt en compagnie de Vieux-croyants, autres persécutés d’une l'H/histoire dont Pierre sortirait vainqueur.
À l'été 1872, l'année du bicentenaire de la naissance du premier empereur russe, Modeste Moussorgski (1839-1881) débute un ouvrage qu'achèverait Rimski-Korsakov. Loin de ces têtes couronnées dont il bouscule un peu le destin – et aussi parce que la censure en empêche leur représentation scénique –, ce drame musical populaire (ou national) en cinq actes ne souhaite « pas seulement faire connaissance avec le peuple, mais fraterniser avec lui » (juin 1872). Au final, cette fréquentation s'avère sombre et fuyante (illettrisme, alcoolisme, violence aveugle), au point que Vladimir Stassov, fournissant la documentation historique du livret, se moquait gentiment du créateur tenté d'inventer des origines aristocratiques à Marfa (« la princesse Sitskaïa, qui s'est sauvée d'en haut ») et Dossifeï.
Malgré tout, c'est le chœur qui règne sur la Place Rouge, en face de Belgorod ou devant Saint-Basile – excellent au Liceu où il fut filmé en mai 2007. Avec sa voix ample au phrasé remarquable, Vladimir Ognovenko compose un père crédible pour Vladimir Galouzine (Andreï Khovansky), puissant ténor à la couleur de baryton. Robert Brubaker offre au prince Golitsine clarté, souplesse et puissance, tandis que Vladimir Vaneev incarne Dossifeï sans esbroufe, tendrement sonore et nuancé. Graham Clark (Scribe) se montre vaillant et coloré. Mikhaïl Vekua (Strechniev) séduit par un chant juvénile, large et impacté. S'il possède le grain et la puissance pour Chaklovity, Nikolaï Putilin n'est pas toujours stable ni timbré dans son haut-médium. Enfin, saluons Elena Zaremba, Marfa de force (grave musclé) et de douceur (alleluïa à mi-voix, dans une régularité absolue).
En situant au cœur du XXe siècle l'ascension au pouvoir de Chaklovity – « l'homme de demain » –, Stein Winge fait ce constat malheureusement antédiluvien : « l'histoire se répète et le peuple reste à la traîne, dans la détresse. […] La population des campagnes autour de Moscou s'habille toujours comme elle le peut ». Sans être passéiste ni décorative, sa mise en scène concentrée et cohérente, aux détails subtils (l'occidentalisation de Golitsine), s'appuie sur le texte [lire notre chronique du 25 mai 2003]. Certes, le livret accuse des faiblesses, mais elles sont compensées par une écriture musicale puissante et moderne qui – grâce au talent de Michael Boder en fosse – captive lentement, sûrement.
LB