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Chroniques
Modeste Moussorgski
Бори́с Годуно́в | Boris Godounov
Puisque Boris Godounov, tragédie écrite par Pouchkine en 1825, n’invente pas son personnage principal à l’instar du roman en vers Eugène Onéguine élaboré en parallèle [lire notre chronique du 17 janvier 2014], commençons par un peu d’histoire…
Né vers 1551, d’abord chambellan puis commandant de la garde du palais, Boris Fedorovitch Godounov assure durant dix années la régence pour Feodor Ier, un des fils d’Ivan IV dit Le Terrible, plus apte à fréquenter les églises qu’à gouverner. Il devient tsar à la mort de ce dernier (1598) jusqu’à sa propre disparition en avril 1605 – peut-être des suites d’une blessure accidentelle reçue durant une crise d’épilepsie, si l’on réfute l’hypothèse de l’empoisonnement et du suicide. Son accession au pouvoir manque de légitimité (il n’est que le beau-frère du défunt) mais Godounov profite de l’absence de candidature (aristocratie affaiblie) et du soutien du peuple. Son règne est une période assez paisible qui s’accompagne d’évolutions, telles une politique d’indépendance qui va de paire avec l’ouverture sur l’Occident ou le renforcement du pouvoir tsariste aux dépens des nobles (boyards). La rancune de ces derniers, la grande famine qui ouvre le XVIIe siècle (1601-1603) sont pour lui des épreuves auxquelles s’ajoute l’apparition d’un moine défroqué, Grigori Otrepiev, qui s’est fait reconnaître en Pologne comme Dimitri (1582-1591), demi-frère de Feodor Ier et héritier légitime, censé être mort en bas âge. C’est la rumeur d’un Boris assassin d’enfant, ainsi que l’escroquerie d’un des plus célèbres « faux Dimitri » de l’Histoire et l’insidieuse ascension de Vassili Chouïski – exilé jadis par son rival et qui prendrait la tête du pays un an après sa mort – qu’exploitent la pièce dédiée au mémorialiste Nikolaï Karamzine et le livret réalisé par Modeste Moussorgski lui-même (1839-1881).
Engagé pour mettre en scène l’ouvrage à Munich, en février dernier [lire notre chronique du 30 juillet 2013], l’Espagnol Calixto Bieito réagit à la mauvaise conscience surannée du rôle-titre : « Vivons-nous dans une société de prédateurs sans pitié, dans laquelle la bonté n’a pas sa place ? Existe-t-il encore une forme quelconque de conscience chez ceux qui nous gouvernent ? » Persuadé que le pouvoir se fonde sur l’absence de valeurs et de scrupules, il associe à la discorde la tête de nos dirigeants actuels, sur des panneaux portés par le chœur. Après, c’est un peu Scarface à Moscou puisqu’au sadisme policier succèdent plusieurs meurtres commis par Grigori ou orchestrés par Chouïski… Si une prise de conscience politique peut justifier la participation de l’Aubergiste au bain de sang général, la caricature de moine lubrique et la torture outrée de l’Innocent ont, en revanche, la finesse d’un bizutage – le tout capté par les gros plans d’Andy Sommer qui, une fois de plus, filme en dépit du bon sens et casse tout impact dramatique. Après la désastreuse Khovantchina de Tcherniakov en juillet 2007 [lire notre critique du DVD], déjà jouée par Kent Nagano et un Bayerisches Staatsorchester ici des plus mous, il semble que Munich cherche un prix au prochain Fantastic'Arts…
Une fois encore, la captation d’un spectacle se justifie dans la présence de voix convaincantes, et en premier lieu celles du rôle-titre, ample et onctueux Alexander Tsymbalyuk, et d’Anatoli Kotcherga (Pimène), nuancé et moins « canin » que bien des fois. Sergueï Skorokhodov (Grigori) possède un chant sain et stable, de même que Vladimir Matorin (Varlaam) sonorité et abattage, et Markus Eiche (Chelkalov) clarté et évidence. La fermeté de Tareq Nazmi (Mitioucha) et l’assurance de Gerhard Siegel (Chouïski), une fois « chauffé », nous ont aussi séduits, ainsi qu’Okka von der Damerau (hôtesse), très impactée, et Eri Nakamura (Xenia), avantageusement expressive.
LB