Chroniques

par laurent bergnach

Morton Feldman
Au-delà du style – conférences à Middelbourg (1985-1987)

Philharmonie de Paris (2021) 592 pages
ISBN 979-10-94642-49-8
Voici réunies les conférences estivales de Feldman à Middelbourg (1985-1987)

De 1985 à 1987, année de sa mort, Morton Feldmann s’est rendu au festival Nieuwe Muziek à Middelbourg (Pays-Bas). Durant trois été, en plus d’inviter à entendre sa musique, il fit résonner sa voix au cours de conférences, classes de maître et conversations. Les dix-neuf chapitres qui composent l’ouvrage publié par Philharmonie de Paris Éditions – anciennement nommées La rue musicale – s’avèrent ni plus ni moins que la retranscription de dix-huit interventions du compositeur, durant quinze journées au total, auxquelles s’ajoute une conférence de Bunita Marcus, pianiste et compositrice proche du New Yorkais.

Outre une éloquence érudite qui explique l’épaisseur du livre – sa conférence du 2 juillet 1985, estimée à quatre heures et vingt minutes, invite les Inuits, Le Corbusier, Beckett, etc. –, signalons d’emblée que Feldman n’est pas ennemi de la blague. Nombre d’anecdotes provoque son rire si ne n’est celui du public, et qu’importe alors qu’une note de bas de page dénonce, fréquemment, un souci de mémoire ou de bonne foi ! L’artiste a l’esprit vif et ne perd pas l’occasion d’une comparaison farfelue ou celle d’une rosserie propre à froisser les idolâtres (« Stockhausen : kaputt.Boulez : perdu. Ligeti : spinnt »). Il aime divertir sans réserve, ponctuant son monologue de grimaces, d’onomatopées et d’accords chantonnés variés (Chostakovitch, Händel, Rihm, Schubert, etc.).

Précédant généralement des concerts, ses conférences ou dialogues avec des pairs (Boehmer, Saariaho, Xenakis, etc.) dissèquent la musique sous différents angles. Feldman fut proche de certains compositeurs (Cage, Copland, Scelsi, Wolpe) et n’est pas avare de compliments (Beethoven, Sibelius, Stravinsky, Varèse et, tout particulièrement, Xenakis) mais ce sont les peintres qui firent évoluer son travail, tels Pollock, Rothko et de Kooning, qui structurent l’espace comme lui, à présent, structure le silence. « Une partition est une carte, pas un scénario », assure l’ennemi de certains instruments, musiques intuitives et traditions compositionnelles, avant de conclure : « je pense que la vie est bien plus amusante quand on ne sait pas vraiment ce qu’on est en train de faire ».

Feldman enseignait depuis deux décennies au moment où il s’exprima à Middelbourg. Sans tabou, il s’attarde sur les déceptions causées par de jeunes incultes guidés par leur seul ego, sur ceux qu’il a découragés par son exigence artistique, mais sans jamais avoir conseillé l’abandon car le doute demeure (« je suis sûr que tu vas trouver quelqu’un qui sera intéressé par ce que tu fais »). Grâce à ce recueil de conférences, le lecteur, à l’instar de ses derniers auditeurs, devient un peu l’élève du célèbre pourfendeur d’illusions. Lui aussi, désormais, en saura plus sur le côté Frankenstein d’Herbert Brün, la soupe de pois à la Carter et le syndrome de Zsa Zsa Gábor. « C’est un peu hors sujet… – Tant mieux. »

LB