Chroniques

par françois-xavier ajavon

Morton Gould
Jekyll and Hyde Variations – Fall River Legend

1 CD Naxos (2005)
8.559242
Morton Gould | Jekyll and Hyde Variations – Fall River Legend

La collection American Classics de Naxos est pleine de surprise : voici une galette qui nous permet à la fois d'explorer deux œuvres étonnantes de Morton Gould (1913-1996), une musique de ballet et des variations composés dans les années quarante et cinquante, mais aussi de rendre hommage au chef d'orchestre Kenneth Schermerhorn (1929-2005) qui a été tristement rappelé à Dieu entre le moment de l'enregistrement et celui de la publication de ce CD. Après avoir étudié avec Bernstein à l'âge de 28 ans, Schermerhorn est engagé en 1957 pour diriger l'American Ballet Theater. En 1968 et durant plus de dix ans, il dirigea l'Orchestre Symphonique de Milwaukee, qu'il quitta pour celui de Nashville. C'est à la tête de la phalange de Nashville qu'en décembre 2004 il enregistra pour Naxos ce disque précieux.

Archétype du compositeur de musique classique populaire et contemporaine, Morton Gould trouve dans la musique scénique de ballet un médium idéal à son sens du rythme et à son goût pour les mélodies immédiatement assimilables, ses tournures mélodiques accessibles sans être trop ampoulées. Il intègre des éléments de jazz, de blues, de gospel, de country-music et de pop dans des compositions qui révèlent une maîtrise réelle de l'orchestration et des structures formelles imaginatives. Outre de nombreuses œuvres orchestrales, ensembles de chambre et soliste, Morton Gould a composé pour Broadway (Billion Dollar Baby, Arms and the Girl), des musiques de film (Delightfully Dangerous, Cinerama Holiday, WindJammer), de télévision (Holocaust, le documentaire de CBS World War 1) et de ballet, comme ce disque nous permet de le constater (Interplay, Fall River Legend, l'm Old Fashioned). Notons aussi pour compléter son portrait qu'il a dirigé à peu près tous les grands orchestres du monde. En 1966, il remporte un Grammy Award pour son enregistrement de la Symphonie n°1 de Charles Ives avec le Chicago Symphony Orchestra. Entre autres nombreux honneurs, il est élu président de l'American Society of Composers, Authors, and Publishers, au milieu des années quatre-vingt.

Ce CD nous permet de suivre l'évolution musicale de Gould sur dix ans de vie d'artiste : Fall River Legend, ballet crée en 1948, et Jeckyll and Hyde Variations, crées en 1957. Les deux œuvres, au matériel mélodique assez conventionnel, partagent entre elles une couleur envoûtante : le noir. Le noir du polar, du fait divers glauque et du fantastique. Gould nous entraîne sur deux histoires où la mort est omniprésente, suggérée, mise en scène, attendue, évitée, implorée.

Fall River Legend raconte en musique l'histoire tragique de Lizzie Borden, célèbre jeune parricide américaine dont les crimes n'ont jamais été vraiment élucidés et qui alimenta la fantasmatique juridico-policière de plusieurs générations de petits yankees. La longue partition tente de donner corps à ce personnage complexe, torturé, qui imprime à sa musique une noirceur nostalgique rendant Lizzie parfois très présente, avec sa hache meurtrière et son visage d'enfant. Fall River Legend n'est assurément pas la meilleure musique de ballet du siècle, mais elle ravira les amateurs éclairés de musique américaine.

Le principe de la suite Jekyll and Hyde, composée une dizaine d'années plus tard, est assez subtil, puisque Gould choisit la variation pour décliner tour à tour les identités instables du célèbre Dr. Jekyll. Il a composé cette partition en réponse à une commande du grand chef d'orchestre Dimitri Mitropoulos, qui cherchait à orienter le compositeur américain vers un univers musical plus complexe et plus sérieux. En d'autres termes, Mitropoulos voulait atteindre en Gould le compositeur sérieux – flirtant ça et là avec le sérialisme – derrière l'auteur de musique plaisante, de scores de films et de chansons à la mode. Cherchait-il Hyde derrière Jekyll ? Il n'en demeure pas moins que le résultat est très convaincant, envoûtant, et rend justice à l'univers de Stevenson, tout en suggestion et en noirceur. Gould considérait cette pièce comme l'une de ses plus grandes réussites. Le très utile livret est en anglais et en allemand. L'enregistrement numérique de 2004 est plein de puissance, de clarté et d'épaisseur.

FXA