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Chroniques
Niccolò Jommelli
Armida abbandonata | Armide abandonnée
Heureuse initiative que la réédition de l'Armida abbandonata de Niccolò Jommelli ! Cette œuvre napolitaine de 1770 avait fait l'objet d'un excellent enregistrement par les services de Radio France au Festival de Beaune, durant l'été 1994, publié d'abord par Fnac Music et rendu à nouveau disponible aujourd'hui par Ambroisie.
L'expérience réunissait alors une distribution vocale choisie, où l'on retrouve des voix qui ont affirmé depuis lors leur présence sur la scène lyrique. Comme Isabelle Perrin, proposant un Dano encore prudemment couvert, avec un haut-médium qui ne demandait qu'à s'épanouir. Amenant toujours son aigu dans ce velours qu'on lui connaît, on regrettera cependant une diction fâcheusement imprécise. Si l'émission irréprochable et la projection bien contrôlée servent avantageusement la fraîcheur du timbre clair de Patricia Petibon dans le rôle d'Ubaldo, on repèrera les embryons des bizarreries de soutien que l'avenir nous ferait entendre. Il y a onze ans, l'impact vocal de Véronique Gens était nettement plus direct qu'aujourd'hui. Elle campe ici, dans une grande unité de couleurs et une incontestable qualité de timbre, une Erminia dont l'Italien souffre lui aussi de rondeurs copieusement baillées dans les arie. En revanche, le soprano est plus efficace dans les récitatifs, de même qu'elle nage comme un poisson dans l'eau sur Cercar fra i perigli, l'aria rapide du début du second acte, interprétée avec une sensibilité délicate.
Si l'ouvrage convoque cinq personnages masculins et deux héroïnes, un seul homme, par le jeu des travestissements cher au style de l'endroit et à l'époque, se trouve ici distribué : Gilles Ragon donne un Tancredi précis et expressif ne souffrant qu'à peine d'un appui parfois malvenu – l'impact de l'aigu se trouve occasionnellement trop large, ce qui oblige à forcer jusqu'à la raideur – qui vient entraver la fluidité du chant. Cela dit, dès Non è viltà, sa première aria, il offre au rôle une vaillance remarquable et une rare exactitude, un grave présent, des récitatifs systématiquement nuancés, une accentuation intelligemment dramatique et toujours dosée. Le grand air héroïque de l'Acte II, Fra l'orror, démontre l'évidence du chant, l'exactitude parfaite des intervalles, et une souplesse qui sonne comme une invitation à chanter Rossini. L'incarnation du fameux Rinaldo est confié à un mezzo : Claire Brua présente des récitatifs d'une fiabilité exemplaire ainsi qu'une grande présence. Le format vocal paraît, dans cette prise de son, assez lourd, ce qui n'exclue pas un chant bien mené. La respiration est évidente, parfaite l'homogénéité du timbre, le legato somptueusement conduit et raffinée la conception des nuances. Pourtant, aussi pleine de qualités qu'elle soit, la prestation semblera assez terne, peut-être à cause d'une diction plus qu'hasardeuse, là encore.
Quant au rôle-titre, Ewa Malas-Godlewska en donne une interprétation vénéneuse à souhait, pour commencer, tout en posant magnifiquement l'aigu et en distillant un art délicat de la nuance. Idéale dans les scènes de colère et de hargne, elle sait également se plier à l'exigence de suavité d'autres passages, révélant des atouts indéniables dans Ah ! ti sento, au II, où les variations du Da capo font les délices du disque. C'est pourtant un rôle moindre qui fait tout le sel de ce coffret : Laura Polverelli, avec un timbre charnu qui la rend particulièrement crédible dans une incarnation masculine, sert Rambaldo d'une précision stupéfiante, d'une couleur riche et d'un chant qui se bonifie tout au long de l'exécution. Si on la remarque dans la Chaconne de l’Acte I, une partie sollicitant beaucoup le grave tout en présentant des intervalles relativement périlleux dont sa technique se joue sans souci, ce sont le duo du II (avec Armida) et surtout L'onor tradito, son aria du III, qui finissent de faire de la prestation du mezzo siennois le sommet de l'enregistrement.
Dans une définition instrumentale et mélodique particulièrement soutenue, et avec la grande vivacité qu'on lui connaît,Christophe Rousset, à la tête de sesTalens lyriques, distribue génialement les caractères et climats de chaque scène, grâce à une effervescence expressive remarquable. Nuance, équilibre, exquise élégance soulignent judicieusement une écriture déjà classique où subsiste un figuralisme baroque. Dans la succincte intervention d'un chœur à quatre voix des plus intelligibles, l'oreille est immanquablement attirée par les timbres dominant de Robert Expert et Jean-François Novelli.
BB