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Chroniques
Niccolò Jommelli
Il Vologeso | Vologèse
Comme tant d’autres confrères contemporains, Niccolò Jommelli, né et mort en Italie (1714-1774), voit ses opéras créés sur nombre de scènes d’Europe. Plus habitué à servir le ballet, c’est sous pseudonyme qu’il présente le premier d’entre eux, L’errore amoroso (1737), à Naples. Encouragé par son succès, il gagne Rome et y présente successivement Ricimero, re de’ Goti et Astianatte (1740). On retrouve ensuite son nom à Bologne (Ezio, 1741), Venise (Merope, 1741), Turin (Tito Manlio, 1743), Padoue (Demofoonte, 1743), Ferrare (Alessandro nell’Indie, 1744) et Crema (Antigono, 1744), pour l’essentiel. Plus au Nord, il collabore un peu avec Vienne (Achille in Scirio, Catone in Utica, 1749 ; etc.) et beaucoup avec Stuttgart (La clemenza di Tito et Fetonte, 1753 ; Enea nel Lazio et Pelope, 1755 ; etc.) [lire nos chroniques de Demofoonte, Armida abbandonata et L’isola disabitata]. Mais n’oublions pas la toute récente ville de Ludwigsbourg, développée au début du XVIIe siècle autour d’un pavillon de chasse ! Jommelli y fait jouer des ouvrages légers (La critica et Il matrimonio per concorso, 1766 ; etc.) ou plus sérieux (Il re pastore, 1764 ; Imeneo in Atene, 1765 ; etc.), parmi lesquels Il Velogeso.
Cet opera seria en trois actes est présenté au Hoftheater, le 11 février 1766. Mattia Verazi en signe le livret, reprenant la trame conçue par Apostolo Zeno pour Lucio Vero (1699) du compositeur Carlo Francesco Pollarolo, tandis que Jommelli remanie sa propre version de l’œuvre éponyme, écrite pour Milan douze ans plus tôt (1754).
À Ephèse, le général romain Lucio Vero savoure sa victoire sur l’empire des Parthes – territoire actuellement situé en Iran. Ce sont des semi-nomades, ce qu’indique leur nom (cavalier). Durant le banquet qui ouvre l’histoire, un esclave tente d’empoisonner le vainqueur : il s’agit de Vologeso, le roi parthe vaincu, que seul reconnaît Berenice, son épouse. Achetée comme esclave, l’avenir de la reine est aussi sombre que celui de son mari puisque Vero la courtise avec empressement, passant de la douceur à la menace lorsqu’est révélée l’identité de Velogeso. Le militaire est d’autant plus nerveux que Flavio, ambassadeur du Sénat, se présente pour le ramener à Rome, accompagné de Lucilla, fille de l’empereur Marc Aurèle, sa promise qu’il néglige. Comprenant l’insulte qui est faite à Lucilla, Flavio incite l’armée à la rébellion. Pour ne pas mourir, le général doit respecter son engagement envers Lucilla, donc rendre sa liberté au couple qu’il a torturé tant et plus.
Dans cette production filmée à l’Oper Stuttgart en mai 2015, Jossi Wieler et Sergio Morabito [lire nos chroniques de Siegfried, Le nozze di Figaro, Rusalka, Erdbeben, Träume et Der Freischütz] misent sur un décor unique divisé en trois espaces : un fond de scène occupé par l’image de bâtiments contemporains, un plateau où règne l’artifice – colonnades reproduites sur tissu, figures échappées de tableaux de Bassano, du Véronèse, etc. – et un large escalier qui rejoint une fosse d’orchestre peu profonde. Malgré un écrin minimaliste, les six protagonistes principaux – qui ont gardé quelques effets personnels, durant l’habillage à vue sur la Sinfonia – conservent notre attention tout du long, grâce à une direction d’acteur précise et à un chant talentueux.
Ainsi aime-t-on les sopranos Ana Durlovski (Berenice), au timbre à l’expressivité directe, et Catriona Smith (Flavio) avec ses vocalises stables, ainsi que les mezzos Sophie Marilley (Vologeso), voix saine et longue, fort maîtrisée, et Helene Schneiderman (Lucilla) dont les ornements sont aisés. Le rang des ténors compte deux petits rôles, Thembinkosi Mgetyengana et Thomas Elwin (Serviteurs) et un rôle principal, Sebastian Kohlhepp (Lucio Vero). Ce dernier séduit par la clarté, la rondeur de l’émission et un timbre serti. Le contreténor Igor Durlovski joue sur la dualité du confident Aniceto en livrant ses apartés en baryton grave. Tous sont émouvants, à un moment ou à un autre du spectacle.
Enfin, à la tête du Staatsorchester Stuttgart, remercions Gabriele Ferro d’avoir dirigé sans disgrâce ni incongruité une partition dont il admire l’écriture des cordes, « extraordinairement dense, d’un point de vue motivique et contrapuntique ». Si l’ensemble manque parfois de couleurs, au moins goûtons-nous un art de la nuance et de la tonicité qui ne heurtent rien.
LB