Chroniques

par laurent bergnach

Nicholas Maw
Sophie’s choice | Le choix de Sophie

2 DVD Opus Arte (2010)
OA 1024 D
Nicholas Maw | Sophie’s choice

Presque trente ans après son premier roman (Un lit de ténèbres, 1951), William Styron (1925-2006) fait paraître Le Choix de Sophie, inspiré de sa brève amitié d'écrivain en herbe avec une mystérieuse jeune femme, catholique polonaise ayant survécu au nazisme, rencontrée dans une pension de Brooklyn. Rédigé de l'été 1973 à fin 1978, l'ouvrage reçoit un accueil fort mitigé à sa sortie, en 1979 : tandis que certains libraires, de par le monde, s'offusquent de propos blasphématoires et de passages sexuellement explicites (le narrateur s'avère un onaniste intrépide), on reproche à son auteur d'avoir décrit l'Holocauste sans l'avoir vécu et de privilégier le calvaire d'une goy.

Ce qui dérange, en définitive, c'est qu'à l'instar de la brave Yetta Zimmerman encourageant les plaisirs de la jeunesse – le mezzo Frances McCafferty –, l'auteur signale ce qui empêche de jouir de la vie, sans recourir au manichéisme confortable. C'est ainsi que le propre père de Sophie – la basse Stafford Dean – se demande « comment gérer toute une population juive superflue ? », que Nathan Landau ne cesse de revenir sur le lynchage des Afro-Américains du Sud, et que l'héroïne elle-même apparaît comme victime et complice, en prodiguant des soins à son geôlier (sans doute par peur d'un plus terrible encore). Comme le bonheur, la vérité s'avère provisoire.

À part quelques modifications et ajouts de sa main, Nicholas Maw (1935-2009) est resté fidèle au texte original – lu dans l'enthousiasme de la découverte du film d'Alan Jay Pakula en vidéo, des années après sa sortie au cinéma (1982). « La lecture a confirmé mon premier sentiment : le roman constituait une base extraordinaire pour un opéra. Il comportait beaucoup de choses que j'admirais et traitait un sujet extrêmement important, qui fait encore partie de notre expérience de la vie – notre expérience nationale, notre expérience personnelle, notre expérience politique. »

Commande des Royal Opera House et BBC Radio 3, Sophie's choice est créé à Covent Garden le 7 décembre 2002. Livre et opéra ne cessant de brasser les époques – 1937 (Cracovie), 1943 (Varsovie, Auschwitz) et 1947 (Brooklyn) –, Trevor Nunn ménage de nombreux changements de décors, heureusement fluides et rapides ; comme le mensonge et le souvenir, sa mise en scène joue avec ombre et lumière, apparition et oubli.

À défaut d'une partition impérissable conduite par Simon Rattle, le projet propose heureusement un quatuor de chanteurs séduisants : Angelika Kirchschlager, dont le chant léger et corsé convient à cette Sophie dévastée, « avatar des menteuses [qui] ne possède plus rien de ce temps-là » ; Rod Gilfry, Nathan imposant de stabilité, tiraillé entre vaillance et tendresse ; Gordon Gietz, Stingo sonore et impacté, ainsi que Dale Duesing, narrateur omniprésent, ample et nuancé.

LB