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Nicolas Moutier
rencontre avec le directeur du Festival Européen du Trombone
Dans quelques jours s’ouvriront les trois journées du Festival Européen du Trombone. Cette deuxième édition investira cette année la ville de Strasbourg. Des sonneries baroques à la création contemporaine, en passant par les transcriptions wagnériennes, le jazz, la fanfare de quartier et même le conte pour enfants, les cuivres seront mis à l’honneur du 4 au 6 juillet par une programmation tous azimuts, mitonnée par Nicolas Moutier (trombone solo de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, professeur au CRR de Strasbourg et vice-président de l’Association des trombonistes français).
À jeter un œil sur le programme du festival, entre la création, les master classes, les conférences et ateliers-concerts, enfin les concerts eux-mêmes, il semble que la démarche se situe à la charnière du grand événement publique et de la réunion de spécialistes...
On peut le dire comme ça, oui. Nous offrons au public de nombreuses possibilités de découverte, qu’il s’agisse d’aller vers tel répertoire ou tel autre, au fil d’une multitude de rendez-vous musicaux, ou de profiter des rencontres plus didactiques pour s’intéresser à la pratique elle-même, à la facture d’instruments, à la vie des musiciens. Cet « entre-deux » n’est d’ailleurs pas une position des plus faciles, il faut bien le dire. Pour vous donner un exemple : hier, alors que nous distribuions des flyers à l’entrée du Palais de la Musique et des Congrès avant le concert du soir, un spectateur m’a demandé s’il n’y aurait vraiment que du trombone pendant trois jours, alors qu’autour du trombone tous les cuivres seront présents et actifs, bien entendu. Le festival propose des moments plus publics, comme les concerts (baroques, classiques, jazz, salsa, etc.), mais aussi une fanfare de rue qui va jouer à plusieurs endroits de la ville – mes élèves forment d’ailleurs un quatuor de cuivres qui sillonnera Strasbourg – ; et d’autres moments plus spécialisés, comme la conférence de Guillaume Varupenne, trombone basse solo de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, celle de Benny Sluchin de l’Ensemble Intercontemporain, etc. Il est certain que la gratuité des concerts ouvre la porte au public néophyte qui peut venir découvrir le monde des cuivres, mais encore au mélomane pour lequel l’approfondissement de certains répertoires n’induit pas un budget supplémentaire. Les concerts du Conservatoire à la Cité de la musique et de la danse sont toujours libres ; Strasbourg présente donc la particularité d’un usage de la gratuité en ce qui concerne la musique et la culture, qu’il m’a paru bon de respecter.
Conférences, ateliers-concerts et colloques vont porter sur quels sujets ?
C’est vaste, en fait, car très diversifié. Les solistes de l’Ensemble Intercontemporain viendront présenter Linaia-Agon d’Iannis Xenakis, une œuvre pour cor, tuba et trombone qui s’annonce comme un combat entre les trois musiciens, via des formules mathématiques combinées à une vitesse extrême. Du coup, ce rendez-vous est en partenariat avec le département Informatique de l’Université de Strasbourg. Après la présentation de l’œuvre, une master classe sera donnée à deux trios d’étudiants de la Haute École des Arts du Rhin, puis les solistes de l’EIC joueront l’œuvre en concert (dimanche, 13h). Il y aura aussi Le métier de musicien d’orchestre (dimanche, 9h), une master classe d’Henning Wiegrabe, enseignant de la Musikhochschule de Stuttgart et spécialiste du domaine baroque (samedi, 9h), etc. Le festival investit donc la musique, le quotidien du musicien, la construction de l’individu dans ou/et par la musique, la pratique elle-même. Aux concerts répondent également des animations en ville, par le Wonder Brass Ensemble (vendredi, 17h30), le Big Band Klac’son (samedi, midi), mais encore les stagiaires « juniors », puisque le Festival Européen du trombone réunit des classes d’ici et de là qui profiteront de moments privilégiés et auront également à s’exprimer (dimanche, midi).
Peut-on dire que le festival investit toute la ville ?
C’est l’idée, oui. J’ai souhaité que le trombone, les cuivres et la musique soient absolument partout, envahissent les lieux au maximum. Samedi à 21h30, nous inaugurerons le spectacle d’illuminations de la Cathédrale Notre-Dame dans le cadre des animations d’été, par un concert devant l’édifice où Micaël Cortone d’Amore dirigera un ensemble de cuivre et de percussions du CRR. Outre les salles de la Cité de la musique et de la danse ainsi que son Auditorium et aussi son parvis, nous interviendrons ici-même, sur cette Place Broglie, devant l’Hôtel de Ville, dans la verrière de la gare SNCF et au Barrage Vauban (nous en reparlerons). Enfin, il faut parler d’un tout autre aspect du festival : les expositions d’instruments, de partitions et de photos (Daniel Masson), mais encore les bornes d’écoute et de documentation mises librement à disposition du public par la bibliothèque du conservatoire.
Quant aux concerts, ils feront entendre de la musique contemporaine dont certaines œuvres en création, de la musique « ancienne d’aujourd’hui », pour ainsi dire (du répertoire contemporain), sans oublier les sonneries de cuivres baroques, à la manière de Gabrieli et la musique romantique ?...
Nous essayons de couvrir un répertoire large, en effet. Par exemple, une sonnerie sera régulièrement donnée devant l’entrée du Palais Rohan, plusieurs fois dans chaque journée ; il s’agira d’une adaptation pour huit trombones de la fanfare de La Péri de Paul Dukas, qui servira de fil conducteur, comme une sorte de jingle du festival (on l’a d’ailleurs enregistré pour Accent4 qui le diffuse sur ses ondes pour nous annoncer). Pour le domaine classique, les trombones et tubas des orchestres de Bâle, de Strasbourg, de Mulhouse et de Lorraine seront tous réunis, ce qui me réjouit beaucoup ! Ils joueront des adaptations de pages de Bruckner, Wagner, etc. Sans oublier le grand concert de gala avec Ian Bousfield qui est trombone solo des Wiener Philharmoniker, ni le Stuttgarten Posaunen Consort and Friends qui fera entendre les saqueboutes (en partenariat avec les Vendredis soirs de Clefs des arts et de pierre, l’association culturelle d’Église Saint Pierre où ce concert aura lieu vendredi à 20h), il faut aussi évoquer les créations : De Pronti Fuamo (pour soprano et quatuor de trombones) de Benjamin Garzia (samedi, 11h), Trois tableaux (pour quatuor de trombones) de Jean-François Michel (samedi, 14h), Magma (pour trombone solo) de Pierre Thyllois, une pièce dont je donnerai moi-même la première (samedi, 19h) et une « ambulation déconcertante », selon les termes de son auteur, le compositeur alsacien Rémy Studer. C’est un concept très original : les trombonistes amateurs des harmonies d’Alsace envahiront par petits groupes les cellules du Barrage Vauban, un endroit tour à tour fascinant, magique et inquiétant, selon les circonstances et l’heure où on le traverse. Le public est alors invité à déambuler autour de la musique (dimanche, 14h).
Ces créations sont-elles des commandes ?
Celle de Rémy Studer, oui. L’œuvre est commandée par l’Association des trombonistes du Bas-Rhin (que je préside). Quant à l’œuvre de Pierre Thyllois, c’est une commande du Brass Band du Grand est qui assurera le concert où elle est programmée.
Feezy et le trombone de Merlin… qu’est-ce que c’est ?
Il s’agit d’un conte musical écrit par Marc Lys pour vingt-cinq voix d’enfants, quarante trombones, trois comédiens, un quintette soliste de trombones, piano, basse et batterie (sur un livret de Jean-Claude Decalonne). Feezy fera notre soirée de clôture (dimanche, 18h), dans une mise en scène de Marco Locci. Le compositeur dirigera lui-même son œuvre. Il enseigne au CNSM de Paris, possède une énergie invraisemblable qui dynamisme toujours tout le monde. Je m’attends à un moment simplement explosif (rires) !
Comment vous trouvez-vous aujourd’hui à la tête du Festival Européen du Trombone ?
En fait, je suis vice-président de l’Association des trombonistes français (dont le président est Jacques Mauger, professeur au CRR de Paris à la Haute École de Musique de Lausanne) qui, depuis maintenant deux ans, organise un festival national changeant de ville d’élection à chaque édition. La première eut lieu en 2013, à Paris. Les membres de l’association m’ont proposé de m’en charger et de le faire cette fois à Strasbourg, ce qu’avec plaisir je me suis empressé d’accepter. L’an prochain, ce sera Marseille, puis Rouen en 2016, etc. Étant à la frontière du Grand Est, j’ai imaginé de réunir nos voisins allemands, suisses, luxembourgeois et belges qui sont tout près. De fil en aiguille il a semblé possible d’inviter des musiciens venant de plus loin encore. Lorsque je lui ai présenté la chose, la Ville de Strasbourg a décidé de soutenir cette nouvelle envergure européenne, ce qui est une grande chance. Du coup, j’ai pu ouvrir à l’Espagne, à l’Italie, l’Angleterre et même à la Hongrie, puisque nous accueillerons l’excellent Corpus Quartet de Budapest dans un programme de raretés signées Sándor Balogh, László Dubrovay, Frigyes Hidas et János Másik (samedi, 14h).
Développer induit un coût. Vous fallut-il chercher de nouveaux partenaires financiers par rapport au projet initial ? Comment faites-vous ?
Bien sûr. Mais le principe de ces journées prend modèle sur un énorme festival annuel étatsunien où les artistes interviennent bénévolement. Ils y sont intégralement défrayées, naturellement, mais il n’y a aucun cachet de concert, si ce ne sont les avantages dont leurs propres sponsors peuvent leur faire bénéficier. Le gros poste de notre budget concerne donc les déplacements qui représentent beaucoup de frais. Vu que je tenais absolument à ce que toutes les manifestations du festival soient offertes gratuitement au public, il fallut trouver des aides, en effet. Le conservatoire de Strasbourg soutient bien volontiers le projet. Un dossier a été déposé à la Haute École des Arts du Rhin, via la Région Alsace qui s’engage sur quelques projets pédagogiques par an : par chance, on a obtenu la subvention demandée, précisément parce que notre programmation présente de nombreuses master classes et que les étudiants ne feront pas qu’y assister ou aller au concert mais joueront eux-mêmes auprès d’enfants à travers le conte musical (Feezy et le trombone de Merlin).
Ainsi le festival compte-t-il des partenaires institutionnels (Ville de Strasbourg, Région Alsace), mais peut-être aussi d’autres aides ?
Plusieurs facteurs d’instruments le soutiennent financièrement, mais aussi des éditeurs de musique et l’Association des trombonistes allemands.
À combien s’élève le budget global ?
Environ 15000€, ce qui reste très raisonnable pour un événement si dense, trois jours durant. On y arrive, même avec des déplacements parfois plus ou moins coûteux, puisqu’on fait venir des classes entières d’ici et là, tout de même, qu’il faut loger et nourrir tout ce petit monde. Nous recourrons à des chambres d’hôtes, mais aussi des chambres d’étudiants, puisqu’en ce premier week-end de juillet, les résidences estudiantines seront déjà libres. Quant aux artistes, nous les logeons à l’hôtel. Si l’on y réfléchit bien, 15000€, c’est peu.
À ses coûts vient peut-être s’ajouter celui de la communication ?
Pas vraiment, en fait, grâce à des bonnes volontés. La responsable de la communication du CRR offre une aide précieuse en la matière. Le logo du festival a été réalisé gracieusement par un ami. Quant au dossier de présentation du festival – qui n’est pas rien, avec ses quelques soixante-deux pages (programmes, biographies, etc.) –, sa confection a été confiée à un étudiant en management culturel, dans le cadre d’une convention de stage entre son école et le conservatoire.
En guise de conclusion ?
Rendez-vous ce vendredi 4 juillet Place Broglie à 17h30, par exemple !
En savoir plus : trombonestrasbourg2014.com