Chroniques

par laurent bergnach

Nikolaï Rimski-Korsakov
Млада | Mlada

1 DVD Videoland (2005)
VLD 131
Nikolaï Rimski-Korsakov | Mlada

Heureusement pour Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908), le chemin de la réconciliation est de courte durée entre la carrière de marin imposée par une famille aristocratique qui méprise ses dons précoces et le poste de professeur de composition, d’harmonie et d’orchestration qu’il accepte au Conservatoire de Saint-Pétersbourg, pas encore trentenaire et plein de lacunes qu’il va s’échiner à combler – pour son propre bénéfice ! Il y a moins là miracle que volonté de répondre à ses inclinations profondes puisque, en parallèle aux études navales, le jeune homme prit des cours de piano qui le mèneraient à rencontrer Mili Balakirev (1861), pianiste réputé et « compositeur patriote » devenu son ange gardien. « C’est la première fois de ma vie que quelqu’un me disait qu’on devait lire, enrichir sa culture, connaître l’histoire, la littérature et la critique », confie le créateur du Coq d’or [lire notre critique du DVD], remerciant celui qui, avec des encouragements à écrire, quelques leçons occasionnelles, un œil aguerri sur ses manuscrits et une invitation à l’assister à la Chapelle impériale, a tant fait pour lui. Un temps fasciné par le contrepoint d’un Tchaïkovski curieux d’Occident, Rimski-Korsakov trouve sa voie véritable en se tournant vers ses propres racines, à l’instar des autres membres du Groupe des cinq – ou Puissant petit groupe, si l’on traduit correctement Могучая кучка.

En 1889, lorsque débute l’écriture de Mlada, Rimski-Korsakov n’a pas composé d’opéra depuis La jeune fille des neiges, achevé en 1881. Son quatrième ouvrage lyrique reprend le projet que Stepan Guedeonov, directeur des Théâtres impériaux, avait soumis en 1872, dans l’espoir d’un « ballet-opéra » collectif : premier acte de César Cui, deuxième et troisième signés Moussorgski et Rimski-Korsakov, un dernier reviendant à Borodine. « Sur un sujet à dormir debout » arrangé par Viktor Krilov – dixit André Lischke, in Histoire de la musique russe [lire notre critique de l’ouvrage] –, le compositeur laisse de nouveau parler son enthousiasme pour les fêtes rituelles russes liées au culte du printemps et du soleil, développé à la lecture de l’ethnologue Alexandre Afanassiev (Visions poétiques de la nature par les Slaves) – et dont se souviendrait peut-être son élève Stravinski, moins de dix ans après l’hommage rendu par Chant funèbre Op.5.

Au IXe ou Xe siècle, dans la ville de Retra située sur la côte baltique, Voïslava, fille du Prince de Ratarski Mstivoï, a empoisonné une bague offerte à Mlada, Princesse de Riga, pour gagner le cœur de son fiancé Yaromir. Avec l’aide de la ténébreuse déesse Morena, elle maintient sous contrôle le jeune Prince d’Arkonsi, mais celui-ci à des visions du meurtre dans ses rêves hantés par Lada, déesse de la lumière. Le fantôme de Mlada (rôle tenu par une danseuse) se manifeste lors d’une fête populaire encadrée par les serviteurs du dieu Radegast, et entraîne son bien-aimé sur le mont Triglav où, au milieu d’une ronde des Ombres radieuses, elle tente de se faire comprendre. Pour contrecarrer sa présence, Morena fait apparaître la séduisante Cléopâtre au terme d’un Sabbat, laquelle disparait au premier chant du coq. Yaromir apprend finalement la vérité, abat la coupable mais succombe à son alliée maléfique. Dans la mort, les amoureux sont enfin réunis.

Peu donné sur scène depuis sa création, le 1er novembre 1892, sous la baguette du Bohémien Eduard Nápravník, l’opéra-ballet en quatre actes connaît une production au Bolchoï en 1989. Si une image précaire, une version en play-back et une mise en abime du spectacle (figurants costumés applaudissant dans des loges) ne vous effrayent pas, alors n’hésitez pas ! Cette production bouillonnante de Boris Pokrovsky, sur fond de magie noire qui démultiplie les protagonistes (totems, poupées et danseurs), élève le foisonnement au rang d’art. On ne s’ennuie pas une seconde, d’autant que la musique chatoyante et nuancée du wagnerophile russe, portée par Alexandre Lazarev, enchante l’oreille, tout comme Gleb Nikolsky (Mstivoï) plein de vaillance et d’ampleur, Makvala Kasrashvili (Voïslava) au chant aussi sûr et expressif que celui de Galina Borisova (Morena), Oleg Kulko (Yaromir) clair et souple, et Anton Djapaparidze (Grand Prêtre), artiste dans sa plénitude.

LB