Chroniques

par laurent bergnach

Nikolaï Rimski-Korsakov
Царская невеста | La fiancée du tsar

1 DVD Bel Air Classiques (2015)
BAC 105
Daniel Barenboim joue la fiancée du tsar (1899), opéra de Rimski-Korsakov

Grâce à Balakirev qui encourage ses ambitions à l’inverse de sa propre famille, Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) prend une place primordiale chez les Cinq – groupe romantique et nationaliste qui se flatte d’ignorer Wagner –, puis dans l’histoire musicale en général. Alors qu’une bonne partie de sa production lyrique entraîne le mélomane dans des univers enchantés [lire notre critique des DVD Mlada (1892), Sadko (1898), La légende de la ville invisible de Kitège (1907) et Le coq d’or (1909)], le compositeur aime aussi mettre en scène les puissants, comme dans La Pskovitaine (1873/1892) qui s’intéresse aux conquêtes des villes de Pskov et Novgorod par Ivan le Terrible, ou dans cette Fiancée du tsar que Bel Air Classiques propose aujourd’hui, filmée fin 2013 au Schiller Theater (Berlin) [lire notre chronique du 19 octobre 2013].

S’inspirant de nouveau d’un drame du poète Lev Meï situé au XVIe siècle, écrit dix ans avant La jeune fille de Pskov (1859), Rimski-Korsakov et Ilya Tioumenev écrivent le livret d’un opéra en quatre actes, créé le 3 novembre 1899 au Théâtre Solodovnikov (Moscou). Attentif au chant, le musicien souhaite « des airs et des monologues aussi développés que le permettaient les situations dramatiques », des ensembles vocaux « authentiques et parachevés » à contre-courant des « exigences contemporaines d’une soi-disant vérité dramatique en vertu de laquelle on ne doit pas faire parler simultanément deux personnages ou plus » (in Chronique de ma vie musicale, Fayard, 2008).

L’amour domine l'ouvrage : Bomelius convoite Lioubacha qui veut récupérer son amant Griaznoï, lequel affectionne désormais Marfa, heureuse d’épouser Ivan ravi. Les trois premiers concluent des pactes à l’issue terrible, tandis que le Tsar fait lui seul main basse sur Marfa, à l’issue d’une sélection parmi des belles désignées. Loin de ses extrapolations coutumières et crispantes, Dmitri Tcherniakov livre une version lisible de l’histoire, la police secrète du despote opérant désormais son contrôle via la manipulation de l’image et des médias. Mieux encore, le Tsar devient la création virtuelle de ces opritchniki sensés le servir ; mais ce postulat intéressant ne débouche sur rien, comme souvent avec le pourvoyeur d’une horrible Khovantchina munichoise [lire notre critique du DVD], fâché avec la finesse et la cohérence.

En fosse avec la Staatskapelle Berlin, Daniel Barenboim se montre moins frustre que dans ses prestations passées – son Parsifal décevant, en premier lieu [lire notre critique du DVD] –, accompagnant avec sensibilité une équipe de chanteurs efficace. Outre la délicatesse d’Olga Peretyatko dans le rôle-titre, saluons la facilité vocale et le jeu d’Anita Rachvelishvili (Lioubacha), les graves d’Anna Lapkovskaya (Douniacha) et l’ampleur d’Anna Tomowa-Sintow (Sabourova). Côté messieurs, nous apprécions l’impact de Johannes Martin Kränzle (Griaznoï) à qui la langue russe va bien, la sonorité de Tobias Schabel (Maliouta-Skouratov), la clarté de Stephan Rügamer (Bomelius) et surtout la souplesse colorée de Pavel Černoch (Ivan). Seul Anatoli Kotscherga (Sobakine), une fois de plus, écorche l’oreille.

LB