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Chroniques
Nikos Skalkottas
œuvres pour orchestre
À la suite d’une vingtaine de publications discographiques offrant une fervente plongée dans l’œuvre de Nikos Skalkottas, le catalogue BIS persiste et signe avec cinq opus reconstitués du compositeur grec. Né en 1904, celui-ci vint perfectionner son art à Berlin où il fut l’élève de Philipp Jarnach et d’Arnold Schönberg, ce qui ne l’empêcha pas de considérer avec beaucoup d’intérêt la musique de son contemporain Kurt Weill, tenu en piètre estime par le Viennois. Sans renoncer à l’héritage de la tradition de son pays, Skalkottas s’est ingénié à mettre au point une technique dodécaphonique tout à fait personnelle : ainsi peut-on entendre des pages atonales libres, d’autres tonales, quand il ne s’agit pas de pièces placées par leur auteur dans le sillage schönbergien de la méthode des douze sons, voire sérielles, mais encore des tentatives d’écriture modale. Un peu à la façon de Kodály, Janáček ou Bartók, il a investit le folklore grec en s’inspirant, entre autres, de ses danses.
La particularité de cet enregistrement est de présenter des œuvres perdues, retrouvées ou complétées à partir d’arrangements pour des instrumentarium limités. La plus ancienne est la Suite pour violon et orchestre de chambre de 1929, une des dernières partitions allemandes de Skalkottas. Conçue en cinq mouvements, nous n’abordons que les quatre premiers, le dernier n’existant plus aujourd’hui que pour la partie soliste. Prenant pour base leur réduction violon-piano, Yannis Samprovalakis a réécrit l’orchestration en s’appuyant sur une directive d’instrumentation couchée par le compositeur sur la couverture de ce matériel. L’Allegro moderato surprend par une couleur droit venue de Weill influencé par le jazz, mais dans une organisation clairement schönbergienne. À sa tonicité presque belliqueuse succède une valse tendre (Moderato maestoso) que le violon de Georgios Demertzis chante par-delà les inquiétudes des vents. Après un Allegretto vivace qui n’est pas sans rappeler certains aspects de Wozzeck (Berg), dans cette lecture vaillamment menée par Byron Fidetzis à la tête de l’Orchestre Philharmonia d’Athènes, l’Andante sostenuto affirme l’influence de Weill sans désavouer l’inscription principale dans la nouvelle école viennoise, y compris dans le lyrisme du trait solistique.
L’année suivante le Concerto pour violon, piano et orchestre est achevé. Avec lui, le musicien signe un hommage à un genre bien connu (Haydn, Mendelssohn, etc.) dont les cinq épisodes enchaînés dessinent une forme en arche. Ne disposant guère d’instructions précises sur le manuscrit non orchestré, Samprovalakis a choisi de s’inspirer du Concertino H.55 d’Honegger (1924) qui fut joué à Berlin en 1930 au même concert que la création de Skalkottas (6 avril 1930), « avec en plus des timbales et des percussions », explique-t-il (notice du CD). De fait, Hindemith et Stravinsky n’en traversent que superficiellement la facture et l’édifice demeure dodécaphonique, comme en témoigne d’emblée l’Allegro giusto. Aux interprètes précédemment cités vient s’ajouter l’excellent Vassilis Varvaresos qui imprime un relief particulier au premier Andante sostenuto. Courte clé de voûte, l’Allegro vivo, qui enchâsse des rappels motiviques dans un parfum de chanson de cabaret, cède place au second Andante sostenuto, suite logique tout aussi brève du premier, dont la souplesse annonce Lulu (Berg). L’ardent bondissement de l’ultime Allegro conclut fermement le concerto.
En 1933, Nikos Skalkottas regagne la Grèce sans deviner encore qu’il ne la quitterait plus [lire notre chronique du CD From Berlin to Athens]. La tension internationale grandit bientôt, puis la guerre survient. Mais avant le désastre, le compositeur, collaborateur des Archives Folkloriques Nationales entre 1934 et 1935, entreprend de transcrire de nombreuses chansons. Cette immersion dans le patrimoine national a donné naissance à des instrumentations diverses, comme l’air crétois Ο Διγενήζ ψυχομαχεἰ (Digénis en son ultime agonie), dans une version pour voix et piano, en 1935. L’air lui-même ayant été enregistré en 1930 par Elefthérios Kyriákou Venizélos (1864-1936), plusieurs fois premier ministre du pays entre l’automne 1910 et le printemps 1933, mais encore premier ministre de la Crête indépendante de 1908 à 1910 après en avoir géré la justice (1899-1901), nous entendons ici, outre l’orchestration de cette transcription, la voix de celui qui est considéré comme le fondateur de la Grèce moderne.
À dix-sept ans, Skalkottas avait participé en tant que violoniste au concert du Λύκειον των Ελληνίδων (Club Lyceum des femmes grecques), dans le cadre des festivités initiées par la ville d’Athènes en l’honneur du prince héritier (le fils de Constantin I accèderait ensuite au trône, devant Georges II) qui épousait alors Élisabeth de Roumanie., en 1921. Personnalité culturelle établie après la Deuxième Guerre mondiale, il est désormais commandité par l’institution, pour la musique de ses spectacles de danse. La Marche de la Grèce antique et une seconde Marche sont issues de cette collaboration des années 1946 et 1947. Leur néoclassicisme un rien pompeux est une surprise de taille après les œuvres des années trente. Certes moins martiales, les neufs Danses grecques qui s’ensuivent, dans une orchestration de première main, cette fois, sont de cette veine ethnique.
Avec la Sinfonietta en si bémol majeur de 1948, les derniers mois de l’artiste sont décidément néoclassiques. Effectuée à partir du manuscrit peu lisible mais doté de toutes les parties d’orchestre, Byron Fidetzis put réaliser en 1985 la création discographique de cette œuvre. Préparant vingt ans plus tard l’édition critique de tout le corpus Nikos Skalkottas, Yannis Samprovalakis effectue la révision de la partition, créée publiquement en octobre 2005. Son premier mouvement (Andante sostenuto – Allegro) prend volontiers des atours rhapsodiques. Après un chapître plus âpre (Andantino triste) mais non moins héroïque, avec son brillant solo de violon, le Scherzino vient en suave chaloupe fuguée. Le Finale presque chostakovitchieninvite un thème du double concerto de 1930 dont il contredit totalement la nature atonale, comme pour mieux enfoncer le clou du retour au passé, celui d’un désaveu fort décevant. L’accès à tous les aspects de la musique de Nikos Skalkottas reste essentiel pour s’en faire une idée juste ; l’abord en étant occasionné par une gravure de grande qualité, ne boudons pas.
BB