Chroniques

par laurent bergnach

Olga Krashenko
Macondo

1 CD ACEL (2021)
ACEL 027
"Macondo", un opéra d'Olga Krashenko inspiré par Gabriel García Márquez

Diplômée du Conservatoire Rimski-Korsakov de Saint-Pétersbourg, Olga Krashenko (née en 1983, à Kaliningrad) enregistre aujourd’hui Macondo, un opéra de quatre-vingts minutes conçu entre 2012 et 2017, que lui inspira la nouvelle de Gabriel García Márquez (1927-2014) : Monologue d’Isabel regardant pleuvoir à Macondo (Monólogo de Isabel viendo llover en Macondo, 1955). Ce nom, qui revient dans plusieurs œuvres du Colombien, est celui d’un village imaginaire, venu de l’enfance, dont la naissance et la fin tragique sont au cœur de Cent ans de solitude (Cien años de soledad, 1967), roman-culte empreint de réalisme magique.

Cinq scènes structurent l’ouvrage qui débute avec l’arrivée de la pluie, au terme de sept mois de sécheresse. La joie est là jusqu’à ce que la belle-mère d’Isabel s’inquiète pour ses fleurs inondées et que son père se plaigne des mauvaises nuits causées par ses rhumatismes. « Il semble que ça ne s’éclaircira jamais », dit celui-ci. « Cette pluie est ennuyeuse », ajoute Martin, le mari d’Isabel. « Pas ennuyeuse, rétorque cette dernière. Cela me semble terriblement triste, avec le jardin vide et ces pauvres arbres qui doivent rester dans la cour ». L’eau monte sans cesse. Une vache s’enlise dans la boue, les morts s’échappent des tombes. Le temps n’existe plus…

Olga Krashenko a écrit le livret à partir de phonèmes de la langue russe, « grains de parole et d’expression » (notice du CD) qui traduisent l’état d’esprit des protagonistes plus qu’une conversation véritable. Dans le chant qu’on y entend (incantations plaintives, mélopées déclamatoires, etc.) les influences sont nombreuses (traditions religieuses et théâtrales, chants d’enfance, etc.) et rappellent certains projets des novateurs de l’après-guerre (Berio, Stockhausen, Aperghis) que magnifie une personnalité musicale singulière.

Les voix brutes, qui s’accordent parfaitement au folklore rural de l’ouvrage, sont celles des quatre musiciens principaux : la compositrice elle-même (flûte glissando), Lissa Meridan (piano et échantillonneur), Gérard Pape (trombone) et Rodolphe Bourotte (violon). Parmi d’autres intervenants, un ensemble de flûtes à bec et un orchestre à cordes contribuent à donner une densité dramatique à certains passages qui cristallisent l’inquiétude face aux éléments implacables. Olga Krashenko réussit à faire surgir du silence un univers ancestral, non dénué d’humour, particulièrement envoûtant et addictif.

LB