Chroniques

par bertrand bolognesi

Olivier Messiaen
Éclairs sur l'Au-delà…

1 CD EMI Classics (2004)
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Olivier Messiaen | Éclairs sur l'Au-delà…

À quatre-vingt quatre ans, Olivier Messiaen signait encore une vaste partition pour orchestre commandée par le New York Philharmonic qui la créerait sous la direction de Zubin Mehta à l'automne 1992, quelques mois après sa mort. Depuis, Éclairs sur l'Au-delà... connaît une belle carrière. Outre les enregistrements d’Antoni Wit et Myung-Whun Chung, le Berliner Philharmoniker mit à son tour l'œuvre en chantier, et l'on se souvient de la belle interprétation qu'en avait alors donnée Kent Nagano à sa tête et dans les lieux, le 7 mars 1997. La parution d'un enregistrement de cette formation, effectué à demeure en avril dernier, paraîtra donc assez naturelle.

De prime abord, on est surpris à l'écoute de la version deSimon Rattle, ayant en tête la clarté incomparable du concert Nagano, et plus encore la lumière et la respiration de la version Chung, avec l'Orchestre de l'Opéra. Cette fois, l'interprétation s'avère d'une discrétion déroutante qu'on pourrait prendre pour de la fadeur. Mais non : à l'écouter attentivement, on découvrira qu'il n'y a là aucune insensibilité, mais une salutaire confiance accordée par le chef britannique à la partition elle-même, qui se garde bien d'y mêler son grain de sel. Les soli sont magnifiquement réalisés, et l'on admirera particulièrement les bois berlinois, toujours les meilleurs du monde, mais aussi les cordes. Soucieux de présenter une lecture extrêmement soignée et irréprochable, avec une qualité de son et de couleur, ainsi qu'une fiabilité absolue, Rattle ne cède pas à la séduisante tentation de la déclamation. Si l'on est adepte de la surenchère de Chung, on ne manquera pas de trouver son travail aride. Mais en se détachant de cette version, on découvrira d'autres possibilités à cette œuvre, moins uniformément grandiloquente, qui ne pourront qu'en enrichir l'appréhension.

Les douze médiations sur la Jérusalem céleste se libèrent alors d'une relative mièvrerie qu'il était de bon ton d'estimer l'expression la plus probable du sentiment religieux. Mais pourquoi l'œuvre de Messiaen aurait-elle besoin d'une surcharge expressive qui n'a pu qu'occasionner maints malentendus de débordements romantiques, alors qu'elle s'inscrit distinctement dans le XXe siècle qui est le sien ? Pourquoi continuer de croire qu'en la servant ainsi prédigérée, elle parlerait au plus grand nombre ? Enfin, voici un enregistrement sans complaisance qui invite à dédramatiser Éclairs sur l’Au-delà… et d'y trouver une sérénité mystique qui n'est jamais de convention. Simon Rattle semble ne vouloir pas se préoccuper de la réception de cette page qu'il sert pour elle-même, avec une exigence dont on lui sera reconnaissant. Il joue le statisme tel qu'il est écrit, sans l'habiller de vibrations d'un autre âge, et c'est tant mieux. Et si le plus authentique des recueillements résidait précisément dans sa méticuleuse fidélité plutôt que dans les mines inspirées dont on s'abuse soi-même bien souvent ?

Incontestablement, un pas est franchi par cet enregistrement qui, de ce fait, rencontrera peut-être des difficultés à s'imposer, mais ne saurait manquer de le faire.

BB