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Chroniques
Olivier Messiaen
œuvres pour orchestre
Directeur musical de l’Orchestre de Paris (2010-2016) avant de guider le Tonhalle-Orchester Zürich depuis la rentrée 2019, Paavo Järvi a migré en Suisse avec son admiration de la musique française. Aujourd’hui, il enregistre Messiaen à la tête de sa nouvelle formation, un compositeur dont il salue la voix unique en son genre, à la clarté de style très reconnaissable. « Son fabuleux langage harmonique, précise-t-il à l’attention d’Ulrike Thiele, est parfois si déroutant qu’on ne sait pas où il nous mène – et pourtant, il possède une logique intérieure absolument cohérente » (notice du CD).
Durant moins d’une décennie (1925-1933), l’Orchestre des concerts Straram mit à l’affiche les musiciens de son temps, ceux de la Seconde École de Vienne comme ses compatriotes (Ravel, Ropartz, Roussel, etc.). Le 19 février 1931, au Théâtre des Champs-Élysées, il présente Les offrandes oubliées, une des premières pages orchestrales d’Olivier Messiaen (1908-1992) dont l’orchestration se ressent beaucoup de l’admiration de l’auteur pour son professeur Paul Dukas – selon Michèle Reverdy (in L’œuvre pour orchestre d’Olivier Messiaen, Alphonse Leduc, 1988). Conçue en trois volets (La Croix, Le péché, L’Eucharistie), cette évocation de l’oubli de l’homme devant le sacrifice du Christ débute dans une grande douceur qui n’exclut pas la tension, avant de gagner en animation et en fureur. Au jeu des influences, on pense à Honegger dont la religiosité – Le roi David (1923), Judith (1925), etc. – a pu trouver écho chez son jeune confrère parisien. Lente et sereine, la portion finale s’appuie sur des cordes soyeuses.
La même année, Messiaen démarre l’écriture du Tombeau resplendissant. Au journaliste de L’intransigeant venu saluer sa nomination, le tout jeune organiste titulaire du grand Cavaillé-Coll de l’Église de la Sainte Trinité explique avoir voulu « chanter une façon de Béatitude pour ceux qui retrouvent dans la foi mieux que des illusions d’une jeunesse morte » (18 octobre 1931) – cf. la biographie de Peter Hill et Nigel Simeone, traduite puis publiée par Fayard, en 2008. Le 12 février 1933, salle Pleyel, Pierre Monteux joue cet adieu à un temps consacré à « une musique de fleurs », éclairé par « l’oiseau bleu des illusions » – comme indiqué sur l’Épitaphe. On y repère une alternance de deux sections énergiques avec deux autres apaisées. De ces dernières, la première intrigue par son aspect lancinant et élégiaque, proche d’un rituel, tandis que la seconde conclue le quart d’heure par une monodie tournante, à l’unisson, qui échappe à la pesanteur. Le chef estonien, au geste un peu lourd au départ, termine l’exécution dans une grande égalité de nuances.
Si elle fut créée d’abord, la version pour orgue de L’Ascension (29 janvier 1935) – toute première pièce de Messiaen entendue, et aussitôt aimée, par Järvi – est postérieure à celle pour orchestre, donnée par les Concerts Siohan le 9 février 1935, salle Rameau. En effet, elle fut élaborée entre mai et juillet 1932… avec une journée prise pour épouser la violoniste Claire Delbos, le 22 juin. Jugées plus tard comme peu caractéristiques de son langage musical (1944), ces Quatre méditations symphoniques n’autorisent pourtant pas le doute sur leur architecte, à repérer les influences (inflexion grégorienne au seuil du I, fanfare dukasienne à celui du III), l’invitation du mystère (bourrasques frémissantes au second plan, au cœur du II) et le cadre serein de l’ensemble (long thrène sur chemin d’accords au I, lente élévation du IV).
Le programme s’achève avec un opus tardif donné au Théâtre du Châtelet, le 5 décembre 1991, par son commanditaire Marek Janowski, retrouvant là l’Orchestre philharmonique de Radio France dont il eut la charge quelques années plus tôt (1984-1989). Si Le sourire, page centrale de Trois mélodies (1931), constituait un hommage à la mère de Messiaen – la poétesse Cécile Sauvage (1883-1927) dont il empruntait les mots pour la seule et unique fois –, Un sourire évoque la disparition de Mozart, deux cents ans plus tôt, ainsi que sa constance face aux douleurs. « Mozart a toujours eu beaucoup d’ennemis, écrit notre contemporain. Il avait faim, froid, presque tous ses enfants sont morts, sa femme était malade, il n’a connu que des malheurs… Et il souriait toujours. Dans sa musique et dans sa vie » (notice du CD). Järvi y cultive le caractère de douceur général, même dans les sections rythmées, plus tendues, qui émaillent dix minutes lyriques et aériennes.
LB