Chroniques

par bertrand bolognesi

Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg
gala d'anniversaire à Saint-Pétersbourg (2003)

1 DVD TDK (2004)
DV-COGSP
un gala de 2003, pour fêter les trois siècles de Saint-Pétersbourg

Parce qu'en 2003, Saint-Pétersbourg avait trois siècles, la prestigieuse Philharmonie recevait de grands artistes internationaux pour fêter fastueusement l'événement. Créée par ordre de Pierre le Grand sur un territoire de marais se prêtant mal à la construction, la belle cité a redoré ses ponts, rafraîchi les stucs de ses façades, astiqué ses plus beaux palais que le temps n'avait pas épargnés. À la création du légendaire Orchestre Philharmonique de Leningrad, Evgueni Mravinsky en devient le chef pour de longues années, et c'est Yuri Temirkanov qui lui succèdera. Cette formation, qui s'appelle aujourd'hui Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg, donne – ce soir du 1er juin – un programme de près de deux heures où la musique russe est bien entendue largement présente.

Parce qu'il fallait commencer le plus énergiquement possible, Yuri Temirkanov jouait tout d'abord l'Ouverture festive Op.96 de Chostakovitch, une page des moins intéressante du compositeur, mais que le chef parvint à nuancer au-delà de sa pompe. La tonicité et la précision des cordes– il est fort rare que les contrebasses réalisent des unissons d'une telle perfection – sont ici stupéfiantes. C'est Nikolaï Alexeïev qui prend ensuite la baguette, accompagnant le violon virtuose et incroyablement profond de Viktor Tretiakov dans l'Introduction et Rondo capriccioso Op.28 de Saint-Saëns. Une salutaire sobriété d'expression vient élever une partition d'une futilité si affligeante qu'on se demande ce qui a bien pu décider d'un tel programme.

Les Russes ont toujours eu une certaine réticence à considérer Pétersbourg comme une vraie ville de Russie. Sa situation géographique, ouverte sur l'Europe, d'où découle un mode de vie plus occidental qu'ailleurs dans le pays, les artifices de son architecture, les influences italiennes et françaises de ses façades, l'aménagement de ses canaux par les Hollandais, mais aussi son statut de capitale impériale, en font une exception. Aussi retrouvera-t-on dans ce concert un goût qu'on pourrait dire cosmopolite. Après Saint-Saëns, un autre Français : Ravel, avec son Concerto pour la main gauche confié à l'énergie d'Elisso Virsaladze. Cette artiste sait aborder l'œuvre avec un suspens plein de douleur, jusqu'à la révéler dans une sorte d'aurore s'imposant avec évidence. Elle donne le concerto sans emphase, avec une certaine âpreté du son. Néanmoins, l'équilibre orchestral n'est pas des plus satisfaisants, la percussion y prenant nettement trop d'importance après la cadence soliste. On perd toute luminosité au profit d'un héroïse post-romantique malvenu.

Retour à la Russie, avec un musicien que les Cinq ont plus d'une fois accusé de cultiver un goût étranger : nous entendons la Polonaise extraite d'Eugène Onéguine (Tchaïkovski), dans une lecture élégante qui fait voir le bal tout en rappelant les états d'âmes des personnages de l'opéra. Et puisque la musique de théâtre a fait son apparition dans la soirée, Yuri Temirkanov reprend son orchestre, rejoint par le soprano Anna Netrebko, pour deux airs italiens dans lesquels la jeune chanteuse révèle la plénitude d'un beau médium, sensuel et chaleureux. Affirmant une interprétation intelligente et sensible, avec un chant bien mené, tout en prenant des aises parfois discutables avec la métrique, elle donne efficacement la cavatine de Lucia di Lammermoor (Donizetti), tandis que le cabotinage auquel elle s'adonne dans l'air de Musette de La Bohème (Puccini) gâche quelque peu sa prestation.

Retour à Tchaïkovski : Dmitri Hvorostovsky gagne le plateau pour l'air d’Eletski au deuxième acte de Pikovaya Dama où il s'adonne à un grand numéro de charme plutôt douteux, peut-être pour masquer un léger enrouement. O Carlo, ascolta de Don Carlo (Verdi) montre une exceptionnelle gestion du souffle qui permet un fort beau legato.

Soucieux de parfaire ses intuitions de compositeur par une étude plus approfondie des techniques d'orchestration, Ottorino Respighi viendrait étudier auprès du plus grand maître de son temps en la matière : Nikolaï Rimski-Korsakov, auquel Stravinsky doit beaucoup. C'est le violoncelliste Mischa Maïski qui donne l'Adagio con variazioni Op.133 de l'Italien, offrant, malgré quelques soucis de justesse dans l'aigu, un son puissant et des attaques musclées au service d'un grand lyrisme. On le retrouve dans le moins heureux Kol Nidrei Op.47, message de paix de Max Bruch.

Enfin, les chanteurs prendront congé avec un duo de Pagliacci (Leoncavallo) : les timbres se marient avantageusement, malgré un investissement certain de Netrebko et un je-m'en-fichisme grimaçant d'un baryton trop sûr de lui. La très brève Fanfare de Rachmaninov fermele rideau !

BB