Chroniques

par laurent bergnach

ouvrage collectif
Musique, art et religion dans l’entre-deux-guerres

Symétrie (2009) 506 pages
ISBN 978-2-914373-50-0
Musique, art et religion dans l’entre-deux guerres

Comment s’articulent religion, courant néo et modernité dans la musique, et les arts en général, de l’entre-deux-guerres ? Voilà l’une des questions qu’explorait à Montréal, en mars 2006, un colloque tenant compte des nombreux artistes et intellectuels du XXe siècle naissant, soucieux d’offrir un antidote au dérèglement du monde – déclin de la foi, individualisme, nouvelle invasion possible. Apportées par une trentaine de contributeurs (musicologues, enseignants, prêtre, etc.), les réponses méritaient bien ces quelques cinq cents pages précieuses, regroupées en différentes parties.

La première – Esthétique et idéologie – évoque des figures culturelles qui souhaitent réagir à la transformation sociale, alors même que les religieux regardent le XIIIe siècle avec fascination : Caillois et le Collège de sociologie, Lourié et son influence sur Stravinsky, ou encore Maritain (ancien protestant, futur ambassadeur au Vatican) et sa représentation du courant thomiste. Pour beaucoup, Caplet (avec Le Miroir de Jésus, quattrocentiste) et Milhaud deviennent des alternatives à l’égocentrique Schönberg.

Musique à l’église, la deuxième partie, détaille l’action de Pie XI, pape épris d’ordre et vif à restaurer l’âge d’or du catholicisme. En 1903, notamment, son Motu proprio fait un modèle du chant grégorien et de la polyphonie palestrinienne. S’il veut intégrer la liturgie, l’art des sons doit désormais parler à l’âme. « On ne chante pas pendant l’office, on chante l’office ». Dans les faits, et pour garder ses fidèles, plus d’un Père doit trouver des compromis populaires, mais des musiciens, tels Tournemire, y verront matière à s’exalter.

La troisième – Le ballet et l’oratorio ou le drame humain – analyse la mode bien française d’un genre tombé dans l’oubli – à titre de comparaison, l’Allemagne du siècle passé livre une quarantaine d’oratorios à sujet biblique contre une centaine dans l’Hexagone. Ennemi des réactionnaires et du puritanisme, Claudel séduit Milhaud et Honegger. En parallèle, Franck et D’Indy se partagent entre écriture et enseignement. A la veille de l’occupation, chacun a le choix entre résister, collaborer ou s’accommoder.

Les quatrième et cinquième parties ont respectivement pour sujet le peintre mélomane Maurice Denis, « nabi aux belles icônes », et le compositeur Olivier Messiaen. Lié à la Schola cantorum, l’initiateur des Ateliers d’art sacré (1919) défend le symbolisme, rejetant peintures et statuaires sucrées, « plus écœurantes que les plus langoureuses mélodies de Massenet ». Quant au musicien, l’analyse révèle que sa foi prend racine dans un terrain familial… contrairement à certaines affirmations toujours avancées.

En octobre 1954, Pierre Boulez écrit à Stockhausen : « Après Beethoven, les œuvres religieuses sont du carton bouilli ». Sans être aussi catégorique – une pièce religieuse n’est-elle pas, avant tout, une tentative sonore, parfois réussie ? – , il faut se souvenir que l’État a rejeté l’Église en 1905, et que cette réalité a pu provoquer des chants du cygne d’un goût douteux. Indépendamment de convictions spirituelles ou esthétiques, ce livre permet de saisir l’esprit des années folles, et pas seulement – insistons bien – dans le domaine musical.

LB