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Le corps électrique – Voyage dans le son de Fausto Romitelli
C'est au printemps 2004 que disparaissait le compositeur italien Fausto Romitelli, à l'âge de quarante et un ans. L'ouvrage publié aujourd'hui par L'Harmattan, dans la collection L'Itinéraire dirigée par Danielle Cohen-Levinas, Le corps électrique : voyage dans le son de Fausto Romitelli, est la traduction française d’Il corpo elettrico paru en Italie – Quaderni di cultura contemporanea 4, décembre 2003 – avant la mort du musicien et qui bénéficia de son regard attentif, à la demande de Carlo De Incontrera du Théâtre de Monfalcone, les différents textes qui le constituent ayant été mis en présence par Alessandro Arbo. Outre une documentation précise et concise sur le parcours de Romitelli, on y trouve les entretiens accordés à Éric Denut (Produire un écart), Omer Corlaix (L'insurgé), Danielle Cohen-Levinas (Attaquons le réel à sa racine et Pour une pratique visionnaire) et à Véronique Brindeau, ses propres présentations d'œuvres (An index of Metals [lire notre chronique du 16 janvier 2005] et Professor Bad Trip [lire notre critique du CD]), ainsi que deux textes plus généraux.
Le corps même du livre consiste en cinq articles qu'introduit tout naturellement L'échange infini, préface où Michael Levinas rend hommage à l'ami et à l'artiste, rappelant non seulement la place qu'avait prise Romitelli dans les activités de L'Itinéraire mais aussi la grande complicité qui les liait, ce que lui dut l'Ouverture de l'opéra Les nègres [lire notre chronique du 24 janvier 2004] ou encore ce rire inoubliable qui « dégonflait ce que nous appelions les baudruches de la musique contemporaine ».
Romitelli s'est aventuré en territoires nouveaux, osant libérer l'investigation musicale d'un domaine réservé. C'est jeune qu'il quitta ce monde, au terme d'une épuisante maladie dont il sut parfois utiliser la force elle-même, lui dont l'intransigeance bousculait et continuera de déranger bien des pratiques et idées reçues. Dans son Fausto Romitelli : a short index, Éric Denut développe une réflexion sur l'empirisme sélectif du compositeur, immergé dans la musique populaire anglo-saxonne des années soixante à nos jours, subculture qu'il définit aussi brillamment que succinctement. Pour savant qu'il soit, son article rejoint le ton de l'avant-propos, nous faisant, peut-être sans le vouloir, associer ce rire salvateur et singulier évoqué par Levinas aux « échevelés pas très recommandables » qui peut-être inspirèrent le musicien dont l'œuvre évolue à travers une forme vouée à « mal tourner, comme on le dirait d'un adolescent » . Deux analyses passionnantes invitent à plonger dans une écoute active : le Professor Bad Trip de Pierre Michel et Lesson IV : Bad Trip autour du style de Marco Mazzolini. Avant d'entrer dans le vif de son sujet, le premier partage son ressenti de première écoute, ce qui est autant inhabituel qu'intéressant, dressant ensuite un schéma d'une notable clarté qui permettra de suivre plus efficacement l'investigation de l'œuvre étudiée ; le second, quant à lui, se concentre sur le style et l'identité de l'œuvre de Romitelli, s'arrêtant sur l'usage qu'il fait de la basse, vu comme un « authentique sceau stylistique »
.L'étude plus développée d’Alessandro Arbo, En-Trance, accompagne idéalement le mélomane dans une approche raisonnée du parcours de Romitelli, à travers un exposé de chacun de ses opus mais également une présentation approfondie de son esthétique. Elle est la contribution essentielle de ce livre, un texte sur lequel chacun reviendra. Aussi préfèrera-t-on oublier la pâle redite ampoulée d'Albert Castanet (La poétique musicale : de l'extravagans du matériau à l'ekstasis de la psyché), somme de lieux communs à peine masqués par un énoncé inutilement alambiqué.
BB