Chroniques

par laurent bergnach

ouvrage collectif
Le surnaturel sur la scène lyrique

Symétrie / Palazzetto Bru Zane (2012) 360 pages
ISBN 978-2-914373-76-0
Le surnaturel sur la scène lyrique

En janvier et mars 2009, à l’Opéra Comique (Paris), deux colloques furent organisés en périphérie des représentations de Fra Diavolo (Auber) et Zoroastre (Rameau). Circonscrit au répertoire français – auquel, sans négliger la création, la Salle Favart dédie une large part de sa programmation depuis 2007 –, le premier abordait le fantastique dans l’opéra romantique tandis que le second s’attachait au merveilleux dans l’opéra baroque. Des correspondances apparaissant au cours des journées de rencontres et d’échanges, la vision initiale d’une publication chronologique laissa place à un classement thématique, lequel structure les quatre parties de cet ouvrage des plus instructifs coordonné par Agnès Terrier (diplômée du Conservatoire de Paris où elle enseigne) et Alexandre Dratwicki (directeur scientifique du Palazzetto Bru Zane, à Venise).

Aux sources du surnaturel réunit Francis Claudon, Stéphane Lelièvre, Marie-Pauline Martin et Benjamin Pintiaux. On y rappelle combien la festa teatrale italienne, avec ses héros (Orlando, Armida, Bellerofonte, etc.), sa machinerie et sa pompe, féconda l’opéra français – un art résolument politique, héritier du ballet de cour. Peu à peu, le merveilleux (souvent allégorique) laisse place au fantastique, fer de lance du romantisme d’outre-Rhin. Plus que les noms de Scott et Nodier, c’est celui d’Hoffmann qui s’impose au fil de ces pages initiales, car en plus d’influencer la littérature de notre pays l’Allemand inspirera le milieu musical – treize ouvrages principalement, du Violon de Crémone (Cadaux) au Timbre d’argent (Saint-Saëns).

Principes identitaires regroupe les interventions de Catherine Kintzler, Hervé Lacombe, Laura Naudeix et Emmanuel Reibel, et explicite les fonctions de filtre du merveilleux dans le baroque français – « faire entrer dans l’ordre du galant [en les mettant à jour] les passions les plus complexes et les plus dangereuses ». Médium quasi mythique pour comprendre le monde, l’opéra pose alors la question du naturel et du surnaturel (fabuleux, miraculeux, etc.), jusqu’à voir naître la musique « fantastique », autour de 1830. Sous ce terme perdant son sens de bizarrerie longtemps porté, elle assimile en fait le germanisme, et devient une sous-catégorie du genre opéra dans laquelle l’angoisse domine la scène et la fosse.

Modalités : le surnaturel mis en scène laisse la parole à David Chaillou, Alexandre Dratwicki, Bertrand Porot, Corinne Schneider et Pierre Sérié. L’orchestration du merveilleux est analysée au moyen de quelques ouvrages pré-ramistes – Énéé et Lavinie (Collasse), Manto la fée (Stuck) – ou napoléonien– Ossian ou Les bardes, La mort d’Adam (Lesueur). Une place de choix est évidemment réservée à Der Freischütz (Weber), d’ailleurs pas encore qualifié de « fantastique ». Il en ressort que les couleurs musicales se diversifient dans le fond (usage de flûte traversière, viole d’amour, harpe, orgue, cor anglais, etc.) comme dans la forme (individualisation des timbres, promotion du soliste, trémolos, etc.), en quête d’inouï.

Enfin, Inverses et corollaires réunit Olivier Bara, Jean-Christophe Branger, Gérard Condé, Judith Le Blanc, Michela Niccolai, Nathalie Rizzoni et Jean-Claude Yon. Toute mode culturelle appelant la parodie, cette dernière partie évoque les spectacles de foire qui assimilent le merveilleux depuis l’origine (acteurs déguisés en animaux, profusion de décors) et la tradition du Trial (ténor comique et populaire). Elle se clôt avec un regard sur quatre compositeurs épuisant à divers degrés le filon du fantastique et du féérique : Gounod (La nonne sanglante, Faust, etc.), Offenbach (Les trois baisers du diable, Les contes d’Hoffmann), Massenet (Esclarmonde, Amadis, etc.) et Charpentier (Louise, Julien).

LB