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La musique à Paris sous l’Occupation
Les recherches ont longtemps négligé cette réalité : sous l’Occupation, Paris ne reste pas silencieuse et l’art musical – « le moins compromettant », comme le soulignait alors Henry Barraud –, y résonne autant qu’il peut. En effet, même privée d’une part de son influence politique, la capitale demeure un lieu actif qui use de la musique comme d’un objet de distraction pour les Allemands intramuros (fonctionnaires et militaires), d’anesthésie (Hitler souhaite éviter la résistance liée à une vie culturelle étouffée) et de propagande (l’affirmation d’une « communauté culturelle ancienne, durable et apolitique » entre deux nations frontalières). Certains germanophiles se reconnaissent dans cette idée et servent largement la cause de l’occupant, sur place ou en tournée, tels le pianiste Alfred Cortot qui fustige la « période de facilité outrancière […] abstraite et plaisantine » qu’était pour lui l’avant-guerre, et le soprano Germaine (!) Lubin, première Française accueillie à Bayreuth, qui rend des comptes sur ses engagements dès août 1944. Pour d’autres artistes (Charles Munch, par exemple), une « indignité nationale » est moins flagrante car il faut tenir compte des pressions et chantages exercés.
Si l’on croit que Wagner règne en maître à Garnier, on se trompe… Symbole d’une patrie belliqueuse, le créateur de Rienzi [lire notre critique du DVD] est moitié moins joué que pendant l’entre deux-guerres, pour des raisons de diplomatie et d’organisation. En revanche, Hector Berlioz, « aux trois quarts Allemand », rentre parfaitement dans le projet culturel de l’occupant – La symphonie fantastique (1942), biographie filmée, se joue d’ailleurs de cette image de précurseur d’une entente à bâtir –, de même que Mozart, « musicien européen » avant tout, dont le décès, cent-cinquante ans plus tôt, est l’occasion de célébrations stratégiques. Parmi les vivants, le Suisse Honegger est indéniablement le plus joué – d’autant que sa volonté humaniste de « s’adresser à la masse » rejoint les préoccupations fascistes – suivi par le prolifique Poulenc, proche de la droite et des poètes communistes, et loin d’une « résistance passive » prônée par le Front National des musiciens qui conduit Durey et Auric à réduire leur production.
Les grandes salles et la radio n’ont pas le monopole de la musique. D’autres manifestations sont proposées aux Parisiens, souvent privées, tels les Concerts de La Pléiade (1943-47) qui favorisent une vie sociale entre intellectuels, sous l’égide de Gaston Gallimard et d’André Schaeffner. Ce dernier y programme « les Français » (Costeley, Janequin, Rameau, Satie, Debussy, Ravel, Poulenc, Stravinsky, etc.) tandis que les concerts de la Bibliothèque nationale (1942-44) se vouent à la musique ancienne et ceux du groupe Collaboration (1942) à ouvrir la frontière aux créations récentes (Brehme, Bresgen, Degen, Ernst, Fortner, Hessenberg).
Comme pour Regards sur Debussy tout dernièrement [lire notre critique de l’ouvrage], ce recueil fait suite à un colloque (13 et 14 mai 2013) et paraît sous la direction de Myriam Chimènes (directrice de recherche au CNRS, ici accompagnée de Yannick Simon, professeur à l’Université de Rouen). Les signataires sont François Anselmini, Mathias Auclair, Yves Balmer, Esteban Buch, Jean Gribenski, D. Kern Holoman, Sara Iglesias, Karine Le Bail, Christophe Brent Murray, Aurélien Poidevin, Manuela Schwartz, Nicolas Southon, Leslie Sprout et Jacques Tchamkerten.
LB