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Silences de l’oracle – Autour de l’œuvre de Sciarrino
« Salvatore Sciarrino : imagination, pensées, écoutes, propositions, stupeurs, audible-non audible / spectres acoustiques et musicaux aigus, très aigus, comme les pensées qui sonnent très aiguës / civilisation sicilienne, croisement d’autres et différentes cultures […] / Sciarrino : rare lucidité de sentiments, de liberté créatrice d’images, d’invention, de pratique musicale très originale, toujours surprenante, dans son hay que caminar, à travers les éléments fondamentaux : eau, air, terre et feu en alchimie musicale combinatoire (Leibniz), laquelle fait vivre le stupéfait, l’inattendu, le toujours au-delà. »
Datant de 1987, ce bel hommage de Luigi Nono (in Écrits, Contrechamps, 2007 [lire notre critique de l’ouvrage]) paraît toujours d’actualité un quart de siècle plus tard, tant le Panormitain, occupé à peindre durant l’enfance, continue de cheminer loin des autoroutes aux glissières rassurantes fréquentées par tant d’autres, et de réfléchir – comme Scelsi, Cage ou Evangelisti – à une musique organisée selon des principes psycho-acoustiques modifiant la perception du temps et de l’espace sonores. C’est pourquoi la seconde journée d’un colloque international intitulé Lieux, milieux et horizons du son. Vers une écologie de l’écoute (8 et 9 mars 2012) fut consacrée au créateur d’Introduzione all’oscuro [lire notre chronique du 22 mars 2009], organisé par le Centre de documentation de la musique contemporaine (CDMC) à l’initiative de L’Itinéraire. Sous la direction de Laurent Feneyrou qui intervient le moment venu, diverses contributions de compositeurs, musicologues, gens de lettres et philosophes constituent Silences de l’oracle – signées Marco Angius, Grazia Giacco, Pietro Misuraca, Stéphane Mroczkowski et Henri Scepi –, nourrissant les trois grandes parties de l’ouvrage – Écologie du son et écologie de l’écoute, Éléments de poétique, Mythes et mélancolie.
Outre l’analyse d’œuvres variées – Studi per l’intonazione del mare (2000) et Macbeth (2002) notamment, mais aussi Morte di Borromini (1988) et Voci sottovetro (1998) –, le lecteur découvre comment et pourquoi Sciarrino (né en 1947), plus fasciné par la paléontologie que par l’orthodoxie de Darmstadt, défend une nouvelle poétique du son, une musique organique et baroque qui nécessite de décrasser nos oreilles et d’aiguiser sa perception pour une meilleure connaissance de soi et du monde. La « forme à fenêtre », chère au musicien italien, est un élément essentiel dans l’expérience moderne du temps et de l’espace, faite de ruptures, de traumas, de discontinuités.
Cette journée d’hiver donne naissance à d’autres pages précieuses : celles du compositeur qui s’entretient avec Jean-Christophe Bailly puis Jackie Pigeaud, et d’autres encore de la main même de Sciarrino, éclairages aux textes évoqués plus haut. Parmi les plus développées du créateur, ces lignes résultent d’un discours, d’un séminaire ou de l’exercice solitaire de l’écriture et sont, à une exception près, inédites en langue française. À l’analyse de Cailles en sarcophage (1980) et Perseo e Andomeda (1991) s’ajoutent des pistes pour apprécier une esthétique aussi raffinée qu’est sévère le regard sur le milieu musical. Peut-être comprenons-nous mieux Borromini brûlant ses dessins pour qu’ils ne tombent pas aux mains d’un concurrent après sa mort, ou Gesualdo/Malaspina fauchant des vies dans Luci mie traditrici [lire notre critique du DVD], lorsqu’on sait que pour Sciarrino la condition de l’artiste appelle la solitude et qu’« une grande force morale lui est nécessaire pour traverser le quotidien et vivre l’inquiétude qui lui est propre. L’inquiétude de la nouveauté » ?
LB