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ouvrage collectif
Giacinto Scelsi aujourd’hui
En 1989, Harry Halbreich écrit : « la seconde moitié de ce siècle n’est plus pensable sans Scelsi ». Qui se cache derrière le « compositeur de la vibration et du temps » (Michaël Levinas), « triplement scandaleux » (François-Bernard Mâche), qui déclara plus d’une fois : « la musique ne peut exister sans le son, mais le son existe très bien sans la musique » ? Pour le savoir – et approfondir ainsi notre lecture de Les anges sont ailleurs… [lire notre critique de l’ouvrage] –, il faut parcourir chacun des chapitres de Giancinto Scelsi aujourd’hui et recueillir des éléments biographiques qui ne sont pas donnés d’emblée, sur celui qui prétendait être apparu en Mésopotamie, plus de deux mille cinq cents ans avant l’ère chrétienne.
Né dans une famille qui lui assure une existence aisée, le musicien (1905-1988) grandit dans un château situé sur une île, avec un précepteur qui lui donne des leçons de latin, d’échecs et d’escrime. En 1934, il prend quelques cours de rythme et d’orchestration auprès de Walther Klein, un proche de Berg, devenant ainsi le premier Italien à écrire de la musique dodécaphonique. L’arrivée de la guerre, la fin de son mariage et un épuisement nerveux contribuent à le mettre à terre : entre 1948 et 1952, il interrompt toute activité de compositeur et fréquente plusieurs établissements psychiatriques (« je pensais trop »). Dans une clinique suisse, il se met à écouter avec attention le martellement au piano d’une note unique (« le son remplit la pièce où vous êtes… il vous encercle… On nage à l’intérieur ») – un exercice qu’il reprendrait plus tard pour défier les pianistes qui devaient « jouer au piano une seule note, mais celle-ci quinze fois de manière différente » (Jay Gottlieb). C’est l’issue de sa dépression autant que l’ouverture à un nouveau monde musical et mystique (Orient, ésotérisme, etc.).
De 1952 à 1958, Scelsi repart du son lui-même, considéré comme un univers à part entière, et compose un grand nombre de soli, dont un tiers pour le clavier, avant de s’intéresser à la voix. Entre temps, il fait l’acquisition d’une ondioline [1], laquelle lui permet d’improviser avec un impact sur sa créativité (variations de timbre, d’attaque, d’intensité). À terme, une conception du son « entièrement neuve » s’impose grâce à quelques cent cinquante compositions répertoriées et bien d’autres encore inédites. Son apport esthétique est suffisamment important pour avoir justifié quatre journées d’études au Centre de documentation de la musique contemporaine en 2005, sous la direction de Pierre-Albert Castanet – lesquelles s’achevaient par un concert de L’Itinéraire [lire notre chronique du 18 janvier 2005].
Au fil d’une vingtaine d’interventions inaugurée par un portrait du compositeur en poète et close par une mise en relation avec des confrères (Huber, Kurtág, Murail, etc.), on trouve des commentaires sur la place et la nature du son dans l’œuvre de Giacinto Scelsi (énergie, temps, respiration, rituel, ambivalence, battement, etc.), sur le medium abordé (cordes, percussions, chœur, etc.) ainsi que l’analyse de quelques pièces majeures – dont Quattro pezzi per orchestra (1959), Aiôn, Quatuor n°2 (1961), Canti del Capricorno (1962/1972), Ko-tha (1967), Konx-Om-Pax (1969) et Pranam II (1973), détaillées chacune en un chapitre. Par leur clarté, voire leur transparence, la plupart des musicographes font honneur au compositeur et à son secret de vie : « ne laisser l’opacité s’infiltrer ni dans le corps, ni dans l’esprit ».
LB
1. instrument électronique conçu par le Français Georges Jenny vingt ans après le célèbre thérémine (1919), qui comprend un oscillateur à lampe et un petit clavier de trois octaves – monophonique pour François-Xavier Féron (p.228) et polyphonique selon Thierry Alla (p.324).