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Chroniques
ouvrage collectif
Cahiers de conversation de Beethoven
Dans les dix dernières années de Beethoven (1770-1827), outre l’apparition de problèmes intestinaux, la surdité est devenue telle que chaque ami, parent ou simple visiteur doit utiliser des ardoises et carnets omniprésents pour écrire questions et réponses d’un dialogue hors du commun – Qu’attendez-vous de l’Opéra sous Barbaja ? Connaissez-vous les pianos de Graf ? Est-ce que Mozart était bon pianiste ? Avez-vous déjà quelque chose de terminé pour Mélusine ? Avez-vous un rôle pour moi ? As-tu déjà fini de lire Walter Scott ? À quel prix penses-tu mettre les billets ? Veux-tu boire du kaffeh ? Etc.
Ainsi se sont forgés des Cahiers de conversation qui plongent le lecteur dans l’intimité de l’auteur de Fidelio, de 1819 à 1827. Dès le premier carnet apparaissent deux préoccupations bientôt récurrentes : l’avenir de son neveu Karl et l’intérêt pour les avancées médicales. En 1915, quelques jours après le décès de son frère Caspar Carl, Ludwig conteste la tutelle partagée avec la mère, à laquelle il reproche l’absence de « qualités morales et intellectuelles » pour s’occuper d’un enfant de neuf ans. En attendant la décision du tribunal qui finit par donner satisfaction à son oncle après cinq ans de lutte, Karl passe d’une pension à une autre, se rebelle pour pouvoir choisir ses fréquentations (1824), tente de se suicider (1826) et s’engage dans l’armée, enfin débarrassé de l’encombrant cerbère. Côté santé, on découvre le nom de thérapeutes parfois inventeurs (Wolfssohn et ses appareils auditifs, Maier et sa machine à électrovibrations), en alternance avec des propositions à user de médecines parallèles (homéopathie, phytothérapie, etc.).
Outre soucis domestiques et plaisirs de l’existence, la Vienne politique et musicale est bien sûr évoquée, mélange d’annonces et de ragots qui permettent à Beethoven de se tenir au courant de la vie des autres (créations lyriques, faits divers) comme de l’essor de sa propre renommée (interprètes, éditeurs, portraitistes, commanditaires, projets, révisions, etc.). Fait intéressant, entre quelques vacheries visant les confrères du Maître (Meyerbeer, Hummel, Rossini, Mozart), ses invités parlent beaucoup du poids de la censure – Grillparzer est inquiété pour un poème peu chrétien sur Rome et Kanne pour un personnage d’espion dans sa pièce de carnaval, le pamphlétaire Görres doit fuir en France, etc.
Bien sûr, l’idole de Cherubini était sourde et non muette, et ses réponses se faisaient le plus souvent à haute voix. C’est assez frustrant de sentir nous échapper le seul esprit qui intéresse en ouvrant ce livre, mais moins que d’apprendre comment le secrétaire Schindler a traitreusement ajouté ou arraché certains passages pour sa propre gloire ! De Beethoven lui-même, tracés dans ce qui lui sert aussi de pense-bête, on trouvera des titres d’ouvrages qui l’intéressent, des achats à faire, quelques esquisses musicales – des données qui combleront avant tout le spécialiste.
LB