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ouvrage collectif
Verdi/Wagner : images croisées – 1813-2013
Auteur d’un article sur l’interjection dans les opéras de Verdi et de Wagner – dramaturgique dans un cas, poétique dans l’autre –, Michel Lehmann définit brillamment des passionnés qui, depuis longtemps, s’attachent à comparer deux figures musicales marquantes du XIXe siècle : « c’est un essaim bigarré de voix contradictoires qui s’agglutine autour d’un objet de polémique avant tout, un objet de fantasme conglomérant jusqu’à l’ivresse des antinomies, comme s’il s’agissait de satisfaire d’abord au plaisir intellectuel de débatteurs manipulant des opposés ». Cette analyse, ces enfiévrés, on les retrouve dans un ouvrage édité aux Presses universitaires de Rennes, suite au colloque international qui célébra le double bicentenaire de naissance, du 12 au 15 février 2013.
Trois parties structurent Verdi/Wagner : images croisées. La première, Dramaturgie et interprétation, répertorie les jeux d’échos dans différents genres tels la tragédie historique valorisant un guide apaisé ou idéaliste (Simon Boccanegra, Rienzi), l’opéra romantique teinté de nationalisme (Il trovatore, Tannhäuser) et la comédie (Un giorno di regno, Das Liebesverbot ; Falstaff, Die Meistersinger), en un temps où l’opérette détrône opera buffa et komische Oper. Quelle est l’influence de Wagner sur son confrère italien ? Certains exemples (leitmotiv, importance de l’orchestre, etc.) sont donnés pour tenter de répondre sans préjugé, avant d’aborder la naissance du anti-héros dans les deux catalogues, puis celle du chanteur moderne, sensé rendre intelligible le travail du créateur. Shakespeare a inspiré les deux Européens, tout comme ils fécondèrent à leur tour Toscanini ; les grandes étapes artistiques du Parmesan (1867-1957) sont rappelées, pour terminer.
La deuxième partie, Programmation et réception, fait le point sur la place de ces compositeurs dans différentes régions du globe, en particulier l’Italie, l’Allemagne et les pays germanophones – le cas particulier de Strasbourg est traité avec un chauvinisme attendrissant. Les relations tumultueuses des deux artistes avec l’Opéra de Paris, la vision qu’en eurent la presse locale (périodes 1861-1881, 1887-1914) et la musicographie (1871-1939) s’avèrent l’occasion de chapitres délicieusement révoltants où certains gazetiers perdirent le sens de la mesure à défendre des Français aujourd’hui bien oubliés (Duprato, Massé, Semet, etc.). Rejoignons ensuite la Russie où peine à émerger une école nationale, le Portugal et enfin Israël, qui ovationne un Requiem maintes fois joué à Terezín. Après Toscanini, on croise ici le critique Eduard Hanslick (1824-1905), l’écrivain George Bernard Shaw (1856-1950) et le théoricien Edward Saïd (1935-2003).
La troisième partie, Postérité, entre cultures savantes et populaires, s’ouvre sur les noms de possibles héritiers du double paradigme verdien et wagnérien : Franco Faccio (Amleto, 1865) [lire notre chronique du 28 juillet 2016], Arrigo Boito (Mefistofele, 1868), Pietro Mascagni (Guglielmo Ratcliff, 1895), ainsi que Jules Massenet dont l’idéal est « dans la fusion harmonique des deux systèmes, dans leur juste pondération ». Chez les Italiens, encore, on interroge les piliers du XXe siècle que sont Luigi Dallapiccola, Bruno Maderna et Luigi Nono, dans leur réception d’une tradition lyrique bicéphale. Cette dernière trouve également des échos dans la littérature – Verdi. Roman de l’opéra (1924) de Werfel, Musica vecchia (1925) de Pirandello, etc. –, le cinéma – en l’absence d’une littérature populaire forte, la patrie de Visconti puisa dans l’opéra pour attirer le public aux premiers films muets – et la bande dessinée – ou comment appâter les enfants avec l’Égypte d’Aida et les péripéties du Ring !
Placé sous la direction de Jean-François Candoni, Hervé Lacombe, Timothée Picard et Giovanna Sparacello, ce recueil interdisciplinaire séduit par l’effort de clarté et de concision qu'a fourni une trentaine de contributeurs, parmi les plus diplômés de leur spécialité. L’exercice de la comparaison implique évidemment un rappel de deux carrières hors normes, dans une mise en lumière – lampe électrique Wotan ? – qui intéressera le mélomane novice comme le plus chevronné.
LB