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ouvrage collectif
Anamorphoses – Études sur l’œuvre de Fausto Romitelli
Enseignant chercheur au département de musique de l’université de Strasbourg, Alessandro Arbo avait réuni, peu après la mort de Fausto Romitelli (1963-2004), quelques entretiens et écrits du compositeur dans un document de référence : Le corps électrique [lire notre critique de l’ouvrage]. Dix ans plus tard, une journée d’études alsacienne, organisée le 3 octobre 2013 par le GREAM (Groupe de recherches expérimentales sur l’acte musical) et le festival Musica, donne naissance à un nouveau livre collectif sur l’œuvre de celui qui, dans une époque jugée sans point de repère, se maintenait aux périphéries de l’empire culturel. Quatre parties le structurent, dont une dernière qui recense les moments-clés d’une vie. Commençons par là.
Né le 1er février 1963, Fausto Romitelli étudie solfège et piano dans sa ville natale (Gorizia, Italie), puis la composition (Udine), avant de s’inscrire en faculté de lettres (Trieste), en 1982. Cette même année se distingue par la présentation d’un premier opus pour ensemble, Suites, et par la reprise de ses études de composition (Milan), couronnées par un diplôme, six ans plus tard. Il reçoit de nombreux prix et se perfectionne auprès de Franco Donatoni. En 1990 apparaissent les premières œuvres fondées sur la synthèse instrumentale (Nell’alto dei giorni immobili ; Spazio-Articolazione). Il rejoint alors Paris pour y suivre la formation en informatique musicale de l’Ircam, organisme où on l’accueille ensuite comme compositeur en recherche, de 1993 à 1995. Il fréquente Gérard Grisey et Michaël Levinas, membres de l’ensemble L’Itinéraire qui ne manquerait pas de le jouer régulièrement durant une décennie (La sabbia del tempo ; Acid Dreams & Spanish Queens ; Cupio Dissolvi ; Professor Bad Trip : Lesson II ; Blood on the Floor, Painting 1986 ; Amok Koma). Un nouveau millénaire commence qui voit la majorité de ses œuvres créée à Bruxelles (Trash TV Trance ; Green, Yellow and Blue) et dans différents festivals français (Flowing down too slow ; An Index of Metals ; etc.). Vaincu par une maladie incurable, le musicien s’éteint à l’hôpital San Raffaele de Milan, le 27 juin 2004.
Alessandro Arbo, Jacopo Conti, Vincenzo Santarcangelo et Giovanni Verrando signent Pour une écoute visionnaire, première partie du volume. Ils soulignent l’espace d’exploration que cet ennemi du formalisme ouvre à une génération gorgée de musique filtrée, par son intérêt pour une matière sonore propre à sculpter et la pénétration des fissures verticales du temps, rendue possible grâce aux musiciens spectraux. Ses titres sont souvent liés à des images (Bacon, Cronenberg, Lynch, Michaux, etc.) et ses emprunts à l’univers pop-rock (Brian Eno, Pink Floyd, Pan Sonic, etc.) – tout en gardant son art, prévient-il, « très loin de l’idée de contamination, d’hybridation des styles, de jeu postmoderne », à la manière de Ligeti.
Dans Vers le spectralisme (et au-delà), deuxième partie, Simone Beneventi, Florent Jedrzejewski, Martin Kaltenecker, Éric Maestri, Pierre Michel et Massimiliano Viel analysent quelques œuvres citées plus haut, et d’autres tels le solo pour percussion Golfi d’ombra qui nécessita une reconstruction, EnTrance à la ligne vocale en esthétique « biomorphe », Lost et son langage post-spectral, et aussi Chorus, travail sur l’hybridation des timbres, ici analysé à la lumière du concept de grain. Cette dernière étude, tout particulièrement, salue l’inventivité du compositeur qui réunit guitar pitch pipe, kazoo, bouteilles, rasoir électrique, etc.
Enfin, Pierluca Lanzilotta, Luigi Manfrin, Stefano Lombardi Vallauri et Isabella Vasilotta interviennent dans Professor Bad Trip, Audiodrome, An Index of Metals, troisième partie dont le titre annonce assez une scrutation des œuvres ultimes de Romitelli. Leurs contributions mettent en évidence, une nouvelle fois, un renouvellement du langage musical, dans la forme (présence électrique, électronique) et dans le fond (tension, répétition, déformation, liquéfaction, etc.). Elles parachèvent le portrait sensible et rigoureux d’un créateur pour qui la « musique doit être violente et énigmatique, car elle ne peut que refléter la violence de l’aliénation massive et du processus de normalisation qui nous entourent ».
LB