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György Kurtág : les œuvres et leurs interprétations
Il y a quelques années, dans un portrait concis qui donne toute son importance à ce qui, ailleurs, semblerait un détail, Philippe Albèra écrivait : « toute personne ayant vu travailler Kurtág avec ses interprètes – une épreuve redoutable pour ceux-ci – prend conscience de tout ce que la notation reste impuissante à signifier par elle-même. Chez Kurtág, c’est le corps qui veut parler » (Le Son et le Sens, Éditions Contrechamps, 2007).
Cette « dimension performative » – pour reprendre les mots des trois superviseurs du présent ouvrage, Álvaro Oviedo, Jean-Paul Olive et Márta Grabócz – fut mise en lumière lors d’un colloque international à l’Institut Hongrois de Paris, du 24 au 26 novembre 2016, à l’occasion des quatre-vingt-dix ans d’un artiste qui s’est efforcé d’évoluer à l’écart des investigations de l’avant-garde comme des pratiques usées. Antoine Bonnet interroge un faire la musique propre à Kurtág, conscient qu’une vérité se trouve davantage dans le « juste geste instrumental » que dans la partition. De cette dernière, qu’Olive sait parcourue de nombreux hommages et citations, il signale le caractère dépouillé, tandis que Grégoire Tosser y analyse la permanence du « silence pétrifié » (rupture nette, chant contrarié, etc.).
À l’instar du trio Hommage à R. Sch., Játékok [lire notre critique du CD] intéresse plus d’un contributeur dont Krisztina Megyeri qui livre l’émouvant récit de sa découverte du recueil, dès l’âge de six ans, puis de son enseignement à la nouvelle génération. L’apprenti pianiste s’initie à l’exigence de l’écoute et de la forme musicale, mais aussi à l’instinct théâtral puisque la brutalité du toucher enfantin est un aspect pris en compte. Pour sa part, Olivier Cuendet rappelle que Játékok est un réservoir d’idées dont sont nées nombres d’œuvres, par amplification et recomposition. Le chef témoigne d’une insatisfaction chronique conduisant à des modifications incessantes au contact des interprètes. Enfin, Tobias Bleek se fonde sur le recueil, mais aussi sur le Quatuor à cordes Op.1, pour éclairer « le geste musical » et une pratique spécifique de la notation.
Si l’on excepte les trois épisodes en langue anglaise, signées Iulia Mogoşan, Federico Monjeau et William Kinderman, un dernier chapitre complète ce livre fort éclairant. Oviedo y place l’auteur de Kafka-Fragmente [lire nos chroniques des 18 et 19 février 2020] dans le cousinage de confrères soucieux de l’énergie du jeu (Webern, Lachenmann, Romitelli) puisque « le travail du compositeur consiste à arracher un geste au corps, atteindre un être de sensation qui vaut pour lui-même et excède tout vécu ».
LB