Recherche
Chroniques
ouvrage collectif
Pli selon Pli de Pierre Boulez (entretien et études)
À l'occasion des concerts à Bâle le 7 novembre 2003 et à Genève le 9, où Pierre Boulez dirigeait le soprano Valdine Anderson, les ensembles Contrechamps, Phoenix et Collegium Novum dans Pli selon Pli, un volume regroupant des articles de divers auteurs et un entretien avec le maître a été publié, dans le but de proposer plus un éclaircissement qu'une analyse destinée à des spécialistes. Philippe Albèra y tente d'éclaircir la nébuleuse de termes « quasi-magiques, comme Sérialisme intégral, École de Darmstadt, etc., qui obscurcissent encore la critique de l'histoire musicale entre 1945 et 1960 », tout en présentant la richesse qui nourrit Pli selon Pli sans atteindre au mystère lui-même...
Parmi les six textes proposés, nous sommes avant tout enthousiasmés par ceux de Luisa Bassetto et de Pascal Decroupet. Ce dernier expose et analyse l'apport des mathématiques dans le système de classification des problèmes musicaux rencontrés par Boulez, et en suit le développement à travers les œuvres de 1945 à 1960. Le système n'a jamais été une prison pour le compositeur, bien au contraire : un gain de temps et une orientation méthodique de sa recherche, l'intuition précédant parfois la théorie, ou la théorie permettant d'éliminer certaines solutions sans encore parvenir à imaginer ce que l'intuition d'après gagnera à ce rangement. L'appui que Boulez chercha dans les mathématiques concernait avant tout la rigueur de déduction logique. L'auteur explore les matériaux initiaux de Pli selon Pli et de l'évolution de la pièce au fil des différentes versions, établissant leurs relations avec d'autres œuvres, comme Le Marteau sans maître, les Notations, etc.
L'article de Luisa Bassetto, quant à lui, étudie de façon très documentée l'influence des musiques extra-européennes sur les compositions de Boulez. Ainsi trouvera-t-on dans sa musique des traces extrême-orientales et africaines, dans l'imitation des sons du koto, du gendér (balinais) et du balafon, par exemple. Au delà d'emprunts, d'influences, d'inspirations et d'appropriations, c'est également une certaine position de l'artiste qui pourrait participer de la culture extrême-orientale : l'homme engagé dans la construction intermittente d'un vaste cycle rituel...
Enfin, ce livre s'ouvre avec quelques propos de Pierre Boulez recueillis par Philippe Albèra. Le compositeur explique sa relation à la prose de Mallarmé, la transformation du matériau qui l'a fasciné lorsqu'il la rencontra en 1946, l'extrême formalisme qui l'attira vers ce poète. Il nous fait peu à peu pénétrer dans l'atelier du musicien, évoquant l'absence de plan prémédité : « Je ne me suis jamais dit : je vais faire ceci ou cela... ». On y aborde également la dimension sacrée de la prose de Mallarmé : la musique est un rituel, lié à une idée du Sacré – du Sacré laïque précise Boulez. C'est parce que le concept mallarméen de l'Idée n'est pas transposable que l'on peut écrire de la musique à partir de lui. Les tentatives d'éclaircissement par le musicien se nourrissent, et nous nourrissent au passage, de sa connaissance des œuvres de Char, Cummings, Kafka, Diderot, Joyce, Proust, Klee, Cézanne, etc.
Parlant de l'analyse d'une œuvre, Boulez rejoint Schönberg : « Ce n'est pas comment c'est faitqui importe mais pourquoi c'est fait. » Analyser les œuvres en tant que résultats et non en tant que procédés. « Je crois que les analyses tirées vers soi, quitte à être fausses, sont plus intéressantes que les analyses vraies... » Ainsi, à propos de son livre Penser la musique aujourd'hui (1963), il dit n'avoir pas donné le mode d'emploi permettant de comprendre certains exemples sciemment, afin d'obliger le lecteur à réfléchir selon ses propres préoccupations : idée de la révélation de soi par l'analyse d'une œuvre. Le rôle des mathématiques, développé plus loin par Decroupet, est amorcé : « Ce qui m'attire dans les raisonnements mathématiques, c'est leur aspect spéculatif, le fait qu'il n'y ait pas de limitations... » : possibilité de réaliser autre chose avec un même matériau de base. C'est L'objet trouvé, la base même du work in progress.
Pour finir, Pierre Boulez parle de l'influence de certaines musiques d'autres cultures dans Pli selon Pli. L'histoire, la nôtre et celle des autres, nous aide : l'organum est très intéressant, au Moyen Age, et peut être repensé aujourd'hui. Boulez a utilisé le canon pour ...Explosante/Fixe..., ou encore la périodicité de Klee dans Dérives 2. En revanche, il rejette l'idée d'une influence de l'air du temps, et en particulier de Gruppen de Stockhausen, lorsqu'il choisit de séparer l'orchestre de Pli en groupes : c'était en fait la musique de chambre, et en plus précisément lesLieder Op.22, de Schönberg qui inspira ce geste. Boulez présente son point de vue sur l'utilisation des micro-intervalles, la nécessité de l'autocritique, et bien d'autres choses...
BB