Chroniques

par laurent bergnach

ouvrage collectif
Le IIIe Reich et la musique

Fayard / Cité de la musique (2004) 256 pages
ISBN 2-213-62135-7
Ouvrage collectif – Le IIIe Reich et la musique

« Les méchants n'ont pas de chansons » affirme un proverbe allemand. Durant leurs douze années de règne, Hitler et les fidèles du IIIe Reich ont beaucoup œuvré pour ne pas éveiller les soupçons…

Au lendemain de l'Armistice, les années vingt sont un creuset pour toutes sortes d'expériences musicales (dodécaphonisme, jazz, etc.) et scéniques (abstraction héritée du constructivisme) qui vivifient la culture et célèbrent une Europe cosmopolite. La Krolloper de Berlin, en particulier, vit de novembre 1927 à juillet 1931 quatre années d'avant-garde exemplaires, avant de céder au conservatisme ambiant. L'influence judeo-bolchévique est progressivement montrée du doigt par le Parti au pouvoir et le terme d' « art dégénéré » désigne définitivement, à partir de 1936, tout corps étranger à la nation allemande. Plus qu'aucune autre forme d'art – parce qu'elle parle à l'âme –, la musique doit être purifiée et devenir omniprésente afin d'offrir au peuple une même orientation, une même appartenance dans un sentiment d'union quasi religieuse. Le mythique Wagner en premier lieu, l'humble Bruckner, le consensuel Beethoven, puis Wolf, Brahms jusqu'aux opérettes de Strauss et Zeller vont servir de ciment à ce programme ; la musique envahit les opéras des pays vaincus, le cinéma, les usines. En Allemagne, il y a toujours eu une tradition du recueil de chants populaires et militaires, mais sans commune mesure avec ce qui va se passer désormais – une « dictature du chant » dira Carola Stern, parlant des camps de jeunesse. Un art officiel finit par s'imposer : le kitsch des toiles peintes à l'opéra ne fait pas réfléchir tandis que les mélodies légères de la radio sont un moyen d'identification rassurant – ces dernières surtout, indispensables pour mieux faire passer les émissions à teneur idéologiques… avant de remonter le moral durant l'effort de guerre. La manipulation, la soumission, l'exclusion sont en marche. On écarte les importuns. Sans compter les Tsiganes, on estime à plus de 10000 les musiciens chassés ou assassinés sous Weimar. Après le ghetto, les artistes rejoignent peu à peu les camps de concentration, dont le symbolique Terezin, vitrine SS d'un bonheur mis en scène.

Rédigé sous la direction scientifique de Pascal Huynh, cet ouvrage collectif est le catalogue de l'exposition Le IIIe Reich et la musique, qui se tient à Paris, du 8 octobre au 9 janvier, à la Cité de la Musique. Musicologues, historiens, érudits en sciences sociales apportent chacun leur éclairage sur ce conditionnement, dans un ouvrage qui ne manque pas de rappeler les concessions faites in fine par Goebbels – le jazz plaisait aux classes supérieures et Lili Marleen, « romance morbide », réconfortait les soldats. Outre la richesse des informations, la précision des données historiques, soulignons l'effort iconographique – des raretés, comme ces projets de décors, ces affiches peu connues, etc. – et les notes intégrées avec intelligence. On referme le livre en espérant que, sur les traces de L'Empereur d'Atlantis, soit bientôt visibles dans nos salles Assassin, espoir des femmes ou Transatlantic, comme affirmation d'un art régénéré.

LB