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Chroniques
Péter Eötvös
concerti
« Je compose […] comme un tailleur sur mesure, qui travaille tout à fait consciemment en vue d’une personne donnée ». C’est ainsi que le compositeur Péter Eötvös (lui-même chef d’orchestre) envisage chaque projet dans un rapport de fusion entre ses idées premières et le caractère, la personnalité musicale de ses interprètes. Cette proposition discographique, qui plonge au cœur d’un corpus concertant récent, est donc à voir comme une succession d’hommages musicaux : à la violoniste japonaise Midori Goto, au violoncelliste Jean-Guihen Queyras et au multi-percussionniste viennois Martin Grubinger. En guise de quadrature du cercle, Eötvös est placé à la tête d’un Orchestre Philharmonique de Radio France en grand état de forme.
Créé le 18 janvier 2013 avec le Los Angeles Philharmonic sous la direction de Pablo Heras-Casado, le Concerto pour violon n°2 « DoReMi » prend appui (avec quelques permutations) sur le nom de l’interprète dédicataire en intégrant comme contrainte d’écriture cette incise de gamme. Il en résulte une œuvre savamment orchestrée et à l’imaginaire timbrique riche et foisonnant. Au sein de cette séduisante pâte mouvante et sans cesse renouvelée, le violon soliste se déploie dans un déferlement énergétique quasi ininterrompu. Midori Goto fascine par la brillance du timbre et sa poésie retenue qui finit par s’imposer dans le mouvement terminal.
Avec le Cello Concerto Grosso, créé, quant à lui, le 16 juin 2011 par le violoncelliste Miklós Perényi avec les Berliner Philharmoniker sous la baguette du compositeur, c’est un univers post-bartókien, fortement marqué rythmiquement et aux contours archaïques et popularisant, qui semble s’imposer. Comme son titre le laisse entendre, l’œuvre joue sur une ambiguïté entre le concerto de soliste et le concerto grosso. Ainsi, l’instrument de Jean-Guihen Queyras se trouve souvent intégré aux huit violoncelles de l’orchestre dans un effet de démultiplication. Il en résulte un dialogue croisé entre soliste et ensemble, groupe et tutti ou une sonorité globale faisant fusionner le tout. La puissance de cette œuvre, qui use de nombreux effets percussifs, est admirablement servie par l’Orchestre Philharmonique de Radio France et la remarquable densité du son de ce violoncelle à neuf archets, en écho aux concerts de l’automne 2014 à la maison ronde [lire notre chronique du 22 novembre 2014].
Enfin, ce menu se referme sur les quatre poèmes pour percussion et orchestre, Speaking Drums (2012-2013). Dans cet opus, qui semble parfois flirter avec les champs de l’improvisation, l’espace de jeu de Martin Grubinger est prolongé par la voix. Le substrat littéraire des deux premiers mouvements est tiré de la production du poète hongrois expérimental Sándor Weöres, tandis que le dernier prend appui sur un poème du poète indien Jayadeva, en sanscrit. En ce qui concerne la technique percussive et vocale, un lien semble s’établir avec le jeu des tablas indiens par une mise en relation directe entre schémas rythmiques et syllabes. Cette percussion parle au même titre que la voix de ce percussionniste/danseur. Un seul support manque, le visuel, pour profiter pleinement de ce spectacle total !
NM